"O Raphaël, je te maudis !".
Ainsi pleurait Uriel, le dos contre l'Anamirta cocculus, l'arbuste sacré
qui surplombait, telle la coque d'un bateau battue par les vents, toute
l'ile de la Terre du Levant. On le voyait de loin, en venant de la mer.
Mais Uriel, lui, n'était pas venu par la mer...
"O Raphaël, pourquoi ? Pourquoi a-t-il fallu que tu me donnes cette
mission, à moi… à moi ?" gémissait Uriel, étreignant dans ses mains ce
qui lui restait d'Euxane ; le foulard mauve, assorti à la couleur de ses
yeux, son fidèle miroir, l'ocarina dont elle jouait si bien...
Il avait échoué. Il avait cédé à la beauté d'une femme. Euxane, la plus
belle, la plus douce... Pire ! Il lui avait fait un enfant : la toute
pure, la merveilleuse Dieuxane....Engendrant à son insu une série de
guerres fratricides entre les enfants des hommes et les enfants des Dieux...
Il n'avait pourtant péché que par excès d'amour... Dans un accès de rage
il brisa le miroir où se reflétaient à jamais les traits de sa femme,
endormis pour toujours !
Il saisit son couteau et de sa lame aiguisée voulut lacérer le manuscrit
sacré qu'il tenait caché dans l'écorce de l'Anamirta cocculus. Mais,
fendant les nues, la main de l'Archange Raphaël retint la sienne, et
dans un bruit de tonnerre assourdissant, ils disparurent tous les deux
dans les cieux....
Le mal était trop profond, les anges devaient renoncer pour toujours à
essayer de guérir l'humanité de la désobéissance originelle. C'est du
moins ce qu'en conclurent les Dieux.
Au vu de ses actions passées, le fidèle Uriel fut lavé de toute
responsabilité. Le procès céleste déclara Euxane, par ses manipulations
et son pouvoir de séduction, seule coupable. Les hommes étaient
décidément indignes de la création divine.
Uriel se proposa lui-même pour imposer la sentence, s'infligeant ainsi
la pénitence secrète, seule capable de soulager son cœur : il décida de
pleurer pour l'éternité....
C'est ainsi qu'une pluie glacée, dense et infinie, se mit à tomber,
engloutissant tout ce qui vivait encore à la surface de la terre.