Rendez-vous au bout du quai, en première voiture, on gagne du temps à l’arrivée.
Prendre la place côté fenêtre, celle où on peut se caler avec sa veste ou son châle en évitant la ventilation tantôt trop chaude tantôt trop froide.
Le trajet ne dure qu’une heure dix, on n’aura pas besoin d’aller aux toilettes donc on reste côté fenêtre.
Surtout éviter les carrés, on pourrait avoir un voisin encombrant...
Fermeture des portes, départ. La tension a baissé d’un cran. Je suis en suspension.
Les annonces plus ou moins enjouée selon l’heure, le jour ou l’humeur de l’employé, jonchent le trajet comme de petits coquillages exotiques pour celui qui vient de loin et va loin.
Séléstat, Colmar, Mulhouse, quel tortillard ce TER200, je ne m’y ferai jamais, Saint Louis puis Bâle.
On sort, on passe une frontière. Les douaniers sont là et ne nous prêtent aucune attention comme d’habitude.
Je me demande toujours ce qu’il en était pendant la guerre et si cela devait revenir.
Je joue avec l’idée puis je la chasse.
On n’a pas le temps.
Le trajet est précis, rapides, maîtrisé.
Ligne 2, arrêt Markthalle, direction Drei Rosenkranz. 2 minutes d’attente.
On a de la chance aujourd’hui. J’adore être si près de chez moi et en même temps ailleurs.
On parle allemand ou anglais autour de moi. Je parle allemand, anglais et même danois. J’aime ça l’altérité.
La pensée m’est douce mais elle ne sait apaiser la tension qui monte.
Burgerfelderplatz, plus que 5 minutes à pied. Attention au feu, je cherche sa couleur, mon regard est flou.
On marche, on dépasse la maison de retraite, l’épicerie, le tag sur le mur, on tourne à droite et nous y voilà.
Le masque chirurgical à porter, la voix douce de la jeune femme à l’accueil.
On suit la ligne bleue. On ne monte pas à l'étage cette fois. On passe de salle d’examen en salle d’attente et vice versa.
La tension monte, mon regard se brouille. Pourtant je connais ces couloirs par coeur.
Les murs blancs, le mobilier de design suisse hors de prix, le personnel, dont le rythme tranquille contraste tant avec la France.
Cette fois le grand professeur n’a pas trop de retard. Je crois que je pourrais faire des statistiques.
Une grande main chaude, un accent des pays de l’Est quand il me parle. J’ai confiance en lui.
Il dit qu’il va falloir à nouveau opérer. Je fais bonne figure comme toujours mais mon allemand se cabosse légèrement. J’ai beau avoir l’habitude, le pilotage automatique a ses limites.