Le hasard fait-il bien les choses ?
A la lumière de ce rendez-vous, je dirai oui.
Avant cela, j'aurai dit non. Je détestai les comédies trop romantiques, mielleuse comme un énorme pain d'épices. J'étais même prêt à entériner le fait de trouver quelqu'un et de rester éternellement célibataire. Mais Augustin est arrivé et tout a changé.
Ce jour-là, je ne pensai pas qu'il serait celui qui changea ma vie. Certes, j'avais écumé pas mal de sites de rencontres et ce n'était qu'un premier rendez-vous. Cet exercice très codifié où les deux parties font attention à ne rien faire qui pourrait faire que cette rencontre soit la dernière. On vérifie qui le maquillage, qui la tenue ou l'haleine. J'avais donc fait attention à ce que je portais. Ce qui se révélait un défi compte tenu de mon obésité. Il ne faut pas trop se cacher ni trop montrer les bourrelets. Le matin, je me disais dans la glace la phrase de la Couleur des Sentiments :
« Bérangère, tu es belle, tu es intelligente, tu es importante » afin de me persuader que j'étais conquérante et que j'allais réussir.
Je quittai mon appartement un peu fébrile. Fébrile de savoir si tout allait bien se passer et de comment cela allait se passer. J'avais choisi un beau parc en périphérie de la ville. J'avais prévenu le pique-nique dans la voiture. Le soleil brillait.
Les échanges qu'on avait eu sur le site m'avaient laissé voir un garçon cultivé, tendre et attentionné. Il était plutôt beau selon moi, et il semblait m'accepter telle que je suis. Ce qui me semblait être une denrée rare. J'en avais vécu des rendez-vous ratés, des rendez-vous qui dérapent. Ces derniers m'avaient laissé une cicatrice dans mon âme. A force, je savais reconnaître les signes. L'homme qui s'approche comme un félin, ses gestes se font brusques et en silence. La sidération me rend immobile. J'entends bien une voix qui, dans ma tête, me dit non mais mon corps reste statufié. Je sens la dureté de son sexe contre mon pubis. Je dis non et malgré cela, l'homme, telle une machine, continue inéluctablement. Heureusement, bien des fois, je me suis arrêté à temps. Le garçon ne comprend pas, m'agonit d'injures me traitant de frigide et m'oublie, me laissant avec une sensation de honte, de colère et de dégoût mêlés.
Ce jour-là donc, j'arrivais au parc et il était là. En simple t shirt et jean. Son sourire illumina son visage. On se fit la bise. Une fois installés sur la table de pique nique, nous commençâmes à deviser. Je me présentais plus précisément. Je déroulai la présentation habituelle. Lui, de son côté, m'écouta sans mot dire. Puis, il se présenta. Il se prénommait Samuel Jones. Il travaillait dans les télécommunications. Il vivait dans une colocation dans le centre de la ville. Il est l'aîné d'une fratrie de cinq enfants. Il avait un frère et quatre sœurs. Son père était décédé électrocuté par un arc électrique. Sa mère avait dû faire face à ce décès en prenant plusieurs boulots et en le laissant gérer la maison et ses frères et sœurs. En disant cela, j'entendais sa souffrance mais aussi sa force. Une fois le repas fini et dans le coffre, nous nous sommes promenés dans le parc. Au fur et à mesure de notre promenade, une drôle de sensation commença à m'envahir. Je me sentais bien, en confiance. Instinctivement, il m'apportait un sentiment de paix. Alors qu'avec le stress, je ne savais que dire et ne disais que des broutilles, lui posé, objectait un peu mais me laissait parler. Au détour d'une allée, il s'approcha doucement et m'effleura la main. Je fis mine de ne rien relever.
Le parc étant trop petit et ne voulant pas finir ce rendez-vous, nous décidâmes d'aller nous promener au bord du fleuve. Pendant le trajet, nous continuâmes à discuter. Et une fois sur le chemin au bord du fleuve, il me prit la main. Pour la première fois, je sentis que ce geste avait été fait tout en douceur et en discrétion. Et c'est comme si ce geste était naturel et qu'il devait être fait à ce moment-là et pas à un autre. Jamais avant je n'avais eu ce sentiment. Tout en marchant, j'observai le paysage, qui m'apporta un peu de paix et me détendit. Le fleuve, les arbres et les oiseaux. Tout était calme. Tout était parfait. On parlait de tout et de rien. Un peu plus loin, nous trouvâmes un endroit pour nous asseoir tout en regardant le fleuve. Sans le savoir, nous en arrivâmes à parler du futur, tout en étant clair que ce n'était que des paroles.
Je le trouvais posé, apaisant.
Et là, il se produisit un moment magique, qui m'a fait dire que ce rendez-vous était réussi et qu'il était peut-être le bon. Tout naturellement, je me blottis contre lui et je sentis que j'étais à ma place, comme si cela l'avait toujours été.
Mais l'heure tournait et on devait rentrer afin de reprendre nos vies avant de peut-être se revoir.
En retournant vers la voiture, il me prit par la taille et m'embrassa sur la joue.
Le trajet du retour se fit comme à l'aller. Je le déposai à l'arrêt de tram. Et j'ai eu le sentiment que ce premier rendez-vous s'était bien passé.
Et c'est ainsi que commença une histoire d'amour qui dure.
Il me réconciliait avec l'image de l'homme, que je voyais obsédé, brusque et primaire. Il était tendre, attentionné, patient et à l'écoute. Je n'ai pas dû faire attention à ses gestes, ni être sur mes gardes. J'étais moi. Sans réfléchir. Je croyais que ce sentiment était réservé aux comédies romantiques ou au roman à l'eau de rose. Mais maintenant que je le vis, je trouve ce sentiment étrange et grisant. Grâce à cette relation, je me sens pousser des ailes, sortir de ma coquille et j'ose. Encore une chose que je ne pensais pas qui m'arriverait. J'ai toujours manqué de confiance en moi, mais cette relation m'en a donné plus que je ne l'aurais pensé. J'ai enfin trouvé ma place.