Je m'appelle Stanley, je suis un violon et aujourd'hui j'ai retrouvé mes racines et mon âme.
Comment je le sais ? Laissez-moi vous raconter mon histoire.
J'étais un violon fait par un luthier dont le nom s'est perdu dans l'Histoire. Exposé dans une boutique, je fus choisi par une jeune femme aux cheveux courts et bouclés. Elle était vêtue d'un vieux jean et d'un T shirt tout aussi usé. Pourtant, quand le vendeur émit des doutes sur la capacité de la jeune femme à jouer et à m'acheter, elle jura qu'elle savait jouer et qu'elle avait de quoi payer. Et pour le prouver, elle posa la monnaie sur la table et me prit pour jouer. Ses doigts sur mes cordes étaient assurés, son maniement de l'archet souple et sensible.
Quand elle eût fini, le silence s'installa. En silence, elle partit en laissant la monnaie et sortit avec moi dans mon étui.
Chaque soir, je l'entendais faire ses devoirs, pester contre les exercices de mathématiques. Mais, quand elle me prenait et jouait, je sentais qu'elle s'apaisait. Elle faisait ses gammes pour ses cours de violon, pestait à la moindre anicroche, mais persistait. J'étais heureux. Heureux de sentir ses mains sur moi et son archet sur mes cordes.
Ce n'est que pendant un documentaire sur les Stradivarius que la question de mon origine me vint à l'esprit. Dans ce documentaire, on vantait la qualité du bois d'où était issu ces œuvres d'art pour leur côté imputrescible et du rendu sans égal. Mais et moi, me dis-je, d'où viens-je ? A quoi ressemblais-je avant ? Je me creusais la tête mais en vain. Ce ne fût que quand la jeune fille dût quitter la ville que mon aventure commença. Elle devait quitter le bord de la mer pour aller dans une ville appelée Paris. Elle, qui avait toujours aimé la nature, les grands espaces, se retrouvait prise au piège dans un monde de pierre et de béton. De temps en temps, elle aimait me prendre pour jouer au bord de la plage. A ces moments-là, elle jouait des airs joyeux ou calme et cela la détendait. Ce jour de départ, elle me prit et alla à la plage. Après avoir regardé longuement la mer, elle me cala contre son cou et joua un air triste et mélancolique. Quand elle me retira de son cou, elle pleurait. Mais, elle devait partir.
Arriva le jour fatidique de la rentrée au Conservatoire. Nerveuse, elle me serrait contre elle à travers mon étui. Elle devait pour compléter son inscription interpréter un morceau d'un compositeur au nom imprononçable. Quand ce fut son tour, elle joua du mieux qu'elle pût. Après l'avoir fait, le silence se fit. Les examinateurs notaient sans mot dire. Ma propriétaire se tut et resta fébrile à attendre. Moi, dans sa main, j'attendais le verdict.
Les examinateurs, après un temps, lui dirent :
« Mademoiselle, votre interprétation de ce morceau était bien, académiquement parlant, mais...mais on sent que vous n'êtes pas là. Nous vous laissons une semaine pour nous présenter un morceau de votre choix qui nous aidera à mieux vous connaître Merci. »
Surprise, ma propriétaire fondit en larmes et sortit de la scène précipitamment. Elle me jeta dans mon étui et courut vers la sortie. Une fois dans la rue, elle se dirigea vers le métro et, après avoir pris de nombreuses lignes, sans savoir lesquelles, elle se retrouvait dans une avenue dans laquelle se tenait un parc. De la rue, on pouvait voir de grands arbres par leurs cimes. D'un pas décidé, elle entra dans ce parc et s'assit sur le banc totalement perdue. Elle me considéra et de rage me jetta moi et mon étui sur le sol. Après un temps, elle se calma et me ramassa. En ouvrant mon étui, elle découvrit une photo entre le fond et la coque de mon étui. Qui l'avait mise là ? Mystère pour moi et elle. Cette photo représentait un bord de mer. Quand elle la vit, elle sourit. Et, après un temps, elle chercha des yeux les arbres. Une fois trouvé, elle se dirigea vers eux d'un pas décidé. Elle s'assit au pied d'un grand chêne. Elle sortit des livres de partitions et se mit à réfléchir. Après un temps, elle ouvrit un des livres et m'épaula. J'étais tout ouïe.
Et là ! Là, se produisit le miracle ! Dès la première mesure, mon âme se mit à vibrer. Je revis la forêt, sentis l'odeur de l'humus. A la deuxième mesure, je me revis, arbuste, lutter contre les éléments. A la troisième mesure, je me vis, jeune arbre, profiter du soleil d'été pour étendre mes branches et mes feuilles, écouter la sève circuler en moi. Je me suis rappelé que j'aimais les bruits de mes frères et sœurs et co espèce, quand le vent passait dans les feuilles. Au dernier mouvement, je vis les bûcherons m'abattre. Je vibrai à ce souvenir, ce qui toucha ma propriétaire. On était enfin à l'unisson.
Sans le savoir, elle avait touché mon âme tout comme la musique avait touché la sienne par le biais des cordes. Par gratitude, par la suite, je l'ai aidé à sortir son potentiel sensible. Elle me remercia en donnant des concerts dans des bois ou des lieux naturels. Dans ces lieux, j'étais bien, en osmose avec la nature.
Voilà mon histoire.
Instruments, rappelez à vos propriétaires, nos racines, pour créer de l'harmonie.