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Déjà, parmi les annuaires départementaux sagement rangés sur la tablette spéciale du Bureau de poste, l’élu du jour me signalait à l’envi une particularité de cette ville : les révolutionnaires y étaient si prisés qu’ils patronnaient un grand nombre de rues. De Lénine à Jean Jaurès et encore Marcel Cachin, en passant par Eugène Varlin, Rosa Luxembourg ou Karl Marx, veillaient-ils à entretenir le ferment de la contestation des habitants de jadis comme ceux de 1977 ?

Au lieu-dit Les Séguines, sur la route nationale, un panneau me signala que nous approchions de la «  Cité du Gant de Peau ».

Les passants aperçus au long des rues conduisant à notre destination n’étaient pas plus gantés qu’ailleurs, mais en ce début septembre, le temps clément permettait qu’on vaque à ses occupations à mains nues.

Il y avait là deux particularités qui demandaient à être éclaircies. La raison m’amenant dans cette ville où je devais rester un quart de siècle me donneraient rapidement la clef du mystère.

Déjà, le bâtiment dans lequel je me rendrais six jours sur sept à 6h30 du matin était cerné de rues et boulevard confortant le sentiment qu’au fil des ans on s’était évertué à perpétuer le souvenir de personnages marquant de l’Histoire tant locale que nationale.

A l’arrière, le camion de livraison du courrier, le fourgon blindé amenant les sous, les 4L des facteurs, tous franchissaient le grand portail de la rue Louis Codet – ancien Maire de la Ville et un des 363 députés qui vota contre Mac – Mahon, ce Président dont on a retenu l’expression lors d’une inondation « Que d’eau, que d’eau ».

Le sens unique obligeait d’emprunter la rue Camélinat, homme politique qui selon Wikipédia est « une figure tutélaire du Parti communiste jusqu'à sa mort, en 1932 ».

Nous y sommes ! La place Joseph Lasvergnas complétera mon apprentissage des réalités locales… Cet homme, participant au Congrès de Tours en 1920, fut le 1er maire communiste de la ville.

Sur la place portant son nom, il y avait un bâtiment comportant au rez-de-chaussée un magasin de meubles, partie intégrante de l’USO – Union Syndicale Ouvrière – qui avait sous sa coupe des dizaines d’épiceries dans les communes environnantes.

Joseph Lasvergnas*, apprendrais-je plus tard, fut une cheville ouvrière des différentes coopératives ouvrières dont la coopérative des papiers et sacs, le Ciné-Bourse et les Ganterie et mégisserie Coopératives.

Ganterie, nous y voilà ! Au fil des jours de semaine, on voyait déambuler dans la ville des femmes et des hommes portant à leur bras un léger fardeau dans une toile noire.

Il s’agissait des gantières allant livrer leurs « passes » de gants dont elles avaient cousu à la main ou à la machine « brosser », soit la totalité soit simplement les « fourchettes » - entre pouce et index. Quant aux hommes, c’étaient des coupeurs, qui, selon un gabarit, découpait le gant livré ensuite à l’atelier pour être monté, façonné afin de devenir pour la plupart d’entre eux des gants de luxe qui seraient commercialisés par des marques aux noms prestigieux : Hermès, Inès de La Fressange, Christian Dior …

Très rapidement, en grimpant les escaliers étroits des immeubles ouvriers, pénétrant les appartements, je décèlerais une odeur prégnante ; c’était le cuir manipulé depuis plusieurs générations par gantiers et gantières qui vous informait d’entrée que dans cet immeuble, dans cet appartement, habitaient des ouvriers d’une noble profession, dont les coupeurs (hommes!) étaient en quelque sorte l’aristocratie de laquelle était issue Joseph Lasvergnas.

J’eus très rapidement le sentiment que la profession en amont ne bénéficiait pas de la même considération. Les mégisseries recevaient les peaux d’agneaux brutes directement depuis les abattoirs. D’abord l’écharneuse**, puis les bains dans de grands cylindres verticaux, enfin la dérayeuse transformait la matière brute en une peau au bel aspect de cuir qui deviendrait gants de luxe, voire vêtements, blousons, vestes, jupes de cuir…

Les mégisseries se caractérisaient par une odeur de charogne qui pouvait accompagner les ouvriers mégissiers jusqu’à leur demeure.

Ne croyez pas pour autant qu’il s’agissait d’hommes frustres, dans l’incapacité de faire valoir leurs droits. De temps à autre, un mot d’ordre circulait et quasi unanimement, les 200 mégissiers décidant la grève, se retrouvaient à la Bourse du Travail, désignaient les délégués qui rencontreraient les tenants de la chambre patronale qui regroupait les dirigeants des sept mégisseries de la localité.

Pour finir, il est bon de préciser que ce Ciné-Bourse inauguré en 1926, devait beaucoup à Joseph Lasvergnas qui avait pris l’initiative de regrouper dans le même bâtiment le syndicat et la culture. En effet, dans la salle dédiée au spectacle, des films furent régulièrement projetés, il y eut même des opérettes et des bals.

Voici donc, en partie seulement, ce qui se cache derrière le vocable « cité du gant de peau », la ville de Saint-Junien sur les bords de la Vienne à l’extrémité ouest de la Haute-Vienne, en limite du département de la Charente.

 

NB : * pour en savoir un peu plus, on se référera utilement à ce lien :

https://maitron.fr/spip.php?article116176

** et ici :

https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/echarneuse

 

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