Ça ne prévient pas ça arrive
Ça vient de loin
Ça s’est promené de rive en rive
La gueule en coin
Et puis un matin au réveil
C’est presque rien
Mais c’est là, ça vous ensommeille
Au creux des reins
Le mal de vivre
Le mal de vivre
Qu’il faut bien vivre
Vaille que vivre
Longtemps cette antienne de Barbara a bercé mes soirées d’étudiante. Solitaire et studieuse, je cultivais les fleurs de la mélancolie.
Je la portais en écharpe flottante, sur les épaules, nouée en lavallière, en fleur fanée à la boutonnière… J’avais vingt ans, et ne savais que faire de ma vie, déjà dans les ornières d’un avenir tracé d’avance. Cette chanson disait mon errance, mes intermittences. Elle était, au cœur de mon existence trop bien réglée, comme un regret, comme un reproche, comme un élan contrarié, se promenant de rive en rive, la gueule en coin.
Et puis la routine a fait son œuvre ensommeillée de quotidien, sur les rails si rassurants qui empêchent de mal rêver. Un mari, un enfant, puis deux, un métier tenant lieu de passion… Je m’endormais dans cette inexistence, quand soudain…
Sans prévenir ça arrive
Ça vient de loin
Ça s’est promené de rive en rive
Le rire en coin
Et puis un matin, au réveil
C’est presque rien
Mais c’est là, ça vous émerveille
Au creux des reins
La joie de vivre
La joie de vivre
Elle était là, la petite musique de Barbara, pour m’inviter à l’éveil.
Oh viens la vivre
Ta joie de vivre
Et la routine dérailla…
Elle chante encore, intacte, en ma mémoire. Je la cajole en secret, comme une amie retrouvée, ce soir, où la vieillesse me bouscule, et la douleur au creux des reins. S’accrocher à la rampe, vite ! Un effort surhumain, avant de défaillir sur la banquette du vestibule…
Et tous seuls dans le silence
D’une nuit qui n’en finit plus
Voilà que soudain on y pense
A ceux qui n’en sont pas revenus
Bonjour vieillesse, qui m’encage de douleur. La douleur de vivre, mal et joie mêlée, qu’il faut bien vivre…
Oh viens la vivre
Ta vie Barbara