Quand il m’a avoué sa faute, j’ai failli défaillir, et tomber raide sur la banquette ! Lui, cet homme intègre qui n’a jamais trahi personne, surtout pas moi, en arriver à ce degré d’insouciance et de légèreté ! En 20 ans de vie commune, je n’ai jamais éprouvé ça, voir l’œuvre d’une vie détruite en si peu de temps ! Je sais, on n’aurait jamais dû le poser dans le vestibule, ce vase, le couloir est étroit, de surcroît, il y a cette table qui vacille sur ses trois pieds chaque fois que quelqu’un passe ! Je lui avais bien dit : Paul, ne laisse pas le vase à cet endroit, mais il ne m’a pas écoutée. Résultat, une œuvre de maître détruite en 5 secondes. Elle qui a su rester intacte pendant plus de 20 ans. Il eut beau me cajoler et appuyer sa tête tendrement sur mon épaule, rien n’y fit, je versai toutes les larmes de mon corps en pensant à mes grands-parents qui me l’avaient légué, ce vase, en me demandant d’y prendre soin. Paul s’avoua être contrarié de sa bêtise, contrarié, non mais des fois, un mot bien faible pour exprimer ses regrets. Je sais que je lui en voudrai toute ma vie pour avoir détruit, même accidentellement, un objet de cette valeur et que je lui reprocherai sa maladresse jusqu’à la fin de mes jours. Quand je pense que ce fou de Sultan, notre grand chien à la queue frétillante, n'a jamais renversé le moindre objet chez nous ! Et pas même Clovis, notre dernier fils, pourtant si turbulent eh bien, lui aussi, n’a jamais cassé un seul objet chez nous, étant prévenu de leur fragilité.
Je suis retournée dans la cuisine, j’ai noué mon tablier avec des larmes dans les yeux, me suis emparée d’une pelle et d’une balayette et ai entrepris le ramassage des morceaux. Il en restait un, plus gros que les autres, où l’on voyait un ange, radieux et souriant, portant un bouquet de fleurs dans ses bras. Je l’ai mis de côté et bien plus tard dans l’après-midi, le temps d’encaisser ce malheur, et en m’aidant précautionneusement de la rampe de l’escalier qui monte à ma chambre pour ne pas casser le morceau davantage, ai transporté solennellement les débris de ce grand vase dont ils sont et restent hélas aujourd’hui, les seuls témoins.
Paul a renouvelé ses excuses en m’embrassant très tendrement, et on n’en a plus jamais reparlé.