Ils sont tous deux penauds dans ce glacial vestibule d’hôpital, dans leur bulle, isolés du va et vient étouffés des blouses blanches. Assis, plus exactement, tassés par la douleur, côte à côte sur cette banquette inconfortable. Lui a les yeux dans le vague et elle, la tête appuyée sur son épaule, n’ayant plus de larmes, cherche à être cajolée d’un peu de chaleur humaine. Lui repasse le film de cet accident inlassablement dans sa tête. Il a presque défailli quand il a aperçu son fils de cinq ans au pied de ces escaliers de pierres aux marches inégales. Il reposait sur le sol pierreux, inertes, sur le dos, les yeux clos, un petit râle sortant de sa bouche entrouverte. Poser une rampe pour sécuriser ces quelques marches le contrariait pour l’esthétique de la maison. Pensez, une maison venant du père de son arrière-arrière-grand-père, tout en pierres du pays, n’ayant subi aucune transformation, gardienne de l’architecture locale ancestrale. Aucune maison du village n’a de rampes, cela ne se faisait pas, cela ne se fait pas, et il n’y a jamais eu d’accident à déplorer. Il a fallu que ça tombe sur leur fils. Bien sûrs, cette maison n’est qu’une maison de vacances. Ils vivent en ville, où tous les escaliers ont des rampes. Les dangers de la campagne ne sont pas ceux des villes. Toute sa vie, il va se le reprocher. La gorge nouée, il voit enfin le chirurgien s’approcher d’eux. « Rassurez-vous, Messieurs-dames, les radios sont formelles, la tête est intacte ; votre fils s’en sortira avec quelques hématomes aux bras et aux jambes et une peur bleue ». Le chirurgien fait quelques pas pour s’en aller, se retourne vers eux, et avec un petit sourire réconfortant, ajoute « Pensez à mettre une rampe, ces vieilles maisons cévenoles sont très dangereuses ».