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Ce jour-là, un vagabond embrassa la Belle au bois dormant.

Il s’était retrouvé le matin précédent, moribond sur une berge. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il aperçut au-dessus de lui de grands arbres qui le surplombaient et les yeux écarquillés d’une vieille femme occupée à ramasser des herbes médicinales. Celle-ci eut tôt fait de lui préparer une boisson revigorante. Il n’avait pas fière allure dans ses vêtements déchirés, le regard encore laiteux et les cheveux emmêlés. Sa mémoire ne contenait que des fragments de ses vies antérieures : il sentait encore la fraicheur du vent sur son visage alors qu’il chevauchait des pur-sang dans la steppe australe, il se souvenait aussi avoir été traiteur, livrant des repas somptueux dans les plus belles maisons d’une ville renommée à bord de sa camionnette rouge, puis une douce lueur illumina son regard en évoquant les heures où il batifolait, enfant, avec ses frères et sœurs dans les prés… Encore perdu dans ses souvenirs, il se montra brusque et maladroit lorsque la vieille femme l’interpella en lui présentant son breuvage : « Bois mon fils, cela te remettra d’aplomb. Mais dis-moi, que viens-tu faire dans cette contrée, à bord de cette chaloupe percée ? »

Plutôt que de la remercier, il la rabroua, disant que ce qu’il venait faire là ne regardait que lui.  La vieille femme s’éloigna en maugréant : « Ah, dommage ! je pensais que vous étiez venu pour sauver notre princesse ! »

Entendant ces mots, sa curiosité piquée à vif et rasséréné par cette boisson miraculeuse, il lissa sa chemise déchirée, suivit la vieille femme et lui demanda d’une voix doucereuse : « Dites-moi, votre princesse a besoin d’aide ? Mais que lui est-il donc arrivé ? »

Bien entendu, la vieille ne voulut pas lui répondre de suite. Il dut d’abord ramasser du bois pour le feu, extraire des racines de valériane et cueillir les plus hautes feuilles d’un ginkgo biloba avant d’apprendre que la princesse s’était endormie depuis près d’une centaine d’années, que personne n’avait pu la réveiller et que son château était entouré de lianes, de ronces et de plantes carnivores.

Notre vagabond sentit lui pousser des ailes. Il demanda à la vieille femme de lui prêter la serpe qu’il venait d’utiliser. Radoucie, elle lui confia aussi les brodequins de son fils pour traverser les nombreuses embuches qu’il allait rencontrer et lui souhaita bonne chance.

Il se mit aussitôt en route et franchit la muraille végétale à l’aide de sa serpe. Au crépuscule, la lune se leva, ronde et lumineuse. A partir de ce moment-là, les branches s’écartèrent d’elles-mêmes et un chemin s’ouvrit devant lui, menant directement à la porte du château. Quelle ne fut pas sa surprise, au petit matin, de constater que les gardes et les serviteurs étaient eux aussi très profondément endormis… Il s’approcha donc à pas feutrés. L’énorme porte de chêne s’ouvrit d’elle-même. Il monta l’escalier et parvint à la chambre de la princesse dont la porte s’effaça elle aussi.

Et c’est ainsi qu’un vagabond embrassa la Belle au bois dormant !

Tag(s) : #Textes des auteurs
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