P226 Gisèle - Mon frère Antoine

De la fenêtre de ma chambre, j’aime bien l’épier lorsqu’il batifole comme un enfant dans les eaux calmes du lac alors que le jour est à peine levé. Une faible lueur auréole son corps chétif présentant un spectacle d’une infinie fragilité. Ses gestes maladroits me le rendent encore plus attachant. Bientôt, mon frère chéri ne sera plus qu’un moribond mais en attendant que la maladie trace le chemin ultime il la défie et profite de chaque moment de sa trop courte vie. Je le vois maintenant s’étendre sur la berge, il rêve sans doute de chevaucher mille projets et de s’imaginer dans des aventures palpitantes qu’il ne vivra jamais mais qui le remplissent de joie rien qu’à l’idée de les imaginer. Pendant de longues minutes, alors que le jour gagne du terrain, il reste là à se créer une existence factice qui lui échappera au final. Après de longues minutes de rêverie, la magie s’efface et le ramène dans sa dure réalité.  Je le vois s’appuyer sur le rebord de la vieille chaloupe et se relever avec peine. Face au lac, son corps d’un blanc laiteux spectral se redresse pour saluer le jour nouveau, un de plus à sa courte existence. Il sait que dans un avenir pas si lointain sa vie volera en milliers de fragments et qu’il deviendra souvenir pour ceux qui l’aiment. Je le regarde enfiler ses vêtements, chausser ses brodequins, ajuster sa casquette en devinant qu’il n’en n’a pas fini avec le jour qui commence. Il se dirige avec lenteur vers le boisé dans lequel il s’enfonce et disparaît de ma vue. Je l’imagine confier aux arbres et aux petits animaux sa crainte de la mort, ce qu’il ne fait jamais avec nous.

Appuyée sur le rebord de la fenêtre, j’essuie quelques larmes sur mon visage rongé par le chagrin, rien ne peut me consoler de la tristesse qui m’envahit. Le cœur gonflé d’amour, je descends à la cuisine préparer le petit déjeuner que nous partagerons comme si c’était le dernier.