Assis à ma table, mon espace de vie préféré, je regarde dehors par la fenêtre, une grande baie.
Ce soir, les flocons volent dans l’air et tombent lentement, épais et légers. Malgré la nuit, installée depuis plusieurs heures, les rares lampadaires et les quelques fenêtres éclairées font ressortir la blancheur pure qui recouvre tout et, petit à petit, arrondit et efface jusqu’aux formes des trottoirs, des voitures, et fait disparaitre les bosquets d’arbres des oiseleurs et leurs petites grappes de boules rouge vif, véritable et indispensable garde-manger pour les mois d’hiver des oiseaux qui restent ici, dans ces altitudes hostiles.
J’ai choisi depuis des décennies de passer ici, seul, ce moment, d’en profiter en silence et dans le silence.
À quelques nuances près, le spectacle, derrière la vitre, est chacune des années qui passent et se succèdent, le même. Parfois beaucoup de neige est déjà tombé, parfois, très peu, parfois il neige, parfois pas, mais l’ambiance froide du dehors rend les intérieurs plus enveloppants, protecteurs. Le silence est toujours profond, mais sa qualité peut être plus ou moins douce, les rares bruits plus ou moins amortis par l’épaisseur de la couche de poudre blanche.
Beaucoup cependant choisissent de partager ce moment, comme un rituel de passage, comme si, ensemble, dans une joie minutée, voire égrenée, il s’agissait de se protéger de quelque danger qui menacerait. Comme si les cris de joie de l’instant fatidique, cet instant où meurt une année et où en naît une autre, comme si ces cris venaient recouvrir, cacher un son qu’il ne faudrait pas entendre.
Moi, dans ma solitude, mon silence, je suis à l’écoute, année après année, de ce bruit ténu, de ce souffle, de ce soupir, de ce bruissement. L’ai-je déjà entendu ? Honnêtement, je ne saurais l’affirmer. Mais je vis ce passage intensément, dans une concentration extrême et en même temps totalement ouverte. Je suis en quelque sorte à l’écoute du monde et de l’univers.