Jean traçait son sillon dans la neige fraîche. L’aube léchait le haut des crêtes désarticulées et enflammait les sommets roses. A l’horizon, les premiers contreforts aux versants hérissés de sapins funèbres s’étiraient paresseusement dans la brume gelée. Il lui restait encore huit heures à marcher pour gagner le refuge d’où il pourrait s’élancer à l’assaut du Mont Maudit. Il lui faudrait d’abord enjamber les rides bleues du glacier du Géant puis négocier, dans un corps à corps qu'il savait sans merci, la paroi verglacée lui permettant de s’élever au niveau du refuge.
La montagne s’ébroua soudain dans un grondement lointain. Son haleine blanche recouvrit une épaule que la nuit enveloppait encore. Il faisait trop doux pour la saison et les plaques de neige glissaient sur le manteau gelé. Il devrait redoubler de prudence s’il ne voulait pas devenir le jouet de ses humeurs capricieuses. La montagne semblait apaisée maintenant et le soleil versait des baquets de lumière que le manteau blanc renvoyait dans un scintillement vaporeux.
Jean aborda le glacier grimaçant de mille sourires gercés. Il suivi les kerns qui lui indiquaient le chemin. Son piolet martelait les dépots morainiques et sous ses crampons, les cristaux gelés craquaient. Il lui restait un pont de neige à franchir quand il sentit le sol céder et disparu sans un cri dans le ventre d'une crevasse.
Le silence retomba sur le paysage minéral, à peine troublé par le gargouillement de l'eau entre les blocs de glace. Au loin, lové dans son col, le refuge contemplait, impassible.