Je n’ai plus le choix, je dois quitter aujourd’hui même Montluçon sinon je ne donne pas cher de ma peau. On peut dire que je me suis mis dans de beaux draps et que je me suis fait avoir comme un débutant. Gégé m’a donné rendez-vous le mois dernier au Château des Ducs de Bourbon, nous devions avoir l’air de touristes. En catimini, il m’a remis une enveloppe dans laquelle se trouvaient les instructions à suivre. C’était un gros coup cette fois-ci et je risquais de faire la fête longtemps si tout se passait comme prévu selon les dires de celui dont Gégé était le bras droit. Faut croire que les risques n’avaient pas été évalués sous un angle réaliste car je suis en cavale depuis que le vol de la Banque Populaire sur le boulevard Courtais a foiré. J’ai pu me sauver à temps mais depuis je rampe les murs et tremble de peur chaque fois qu’on m’adresse la parole. C’est décidé je descends à Montpellier où je me terrai pour quelques temps. J’ai une ancienne copine qui y habite et j’ai l’intention de lui demander de m’aider, elle me doit bien ça, je l’ai sortie du pétrin il y a quelques années. Comme on dit : « un service en attire un autre ».
Je me rends en voiture jusqu’à Clermont-Ferrand et abandonne mon véhicule dans un stationnement commercial. Comme je l’ai volé, on ne risque pas de faire de lien entre moi et la bagnole. Je décide de faire de l’auto-stop en direction de Saint-Flour. J’ai de la veine, une vieille dame me prend après une vingtaine de minutes à me tenir le pouce en l’air. C’est jasant les mémés, elle me pose un tas de questions auxquelles je réponds de manière évasive tout en restant poli, je n’ai pas intérêt à me faire remarquer. Elle me parle de sa nièce qu’elle va visiter et bla, bla, bla… Elle me raconte sa vie, pas facile je dois dire, ce qui me la rend plus sympathique. Entre poqués de la vie, y’a toujours un courant qui passe. En temps normal, je lui aurais piqué son sac avant de partir en coup de vent, mais elle m’attendrît la grand-mère, je m’en abstiens. J’ai même droit à une bise et des « bonne chance jeune homme ». Me faut maintenant continuer ma route mais je prends le temps de casser la croûte, une pizzeria fera l’affaire, ce que je trouve rue Des Lacs. Je songe à continuer ma route par train, j’irai aux infos après mon repas. Un type avec une sale gueule vient s’asseoir à la table d’à côté et marmonne des propos incompréhensibles, de toute évidence il a déjà une petite pinte dans le gosier. Je n’ai pas trop envie de lui faire causette mais le voilà qui se rapproche de moi en marmonnant je ne sais trop quoi. Lentement, il ouvre son manteau sale et défraîchi et en sort un pistolet. Dieu du Ciel si j’avais besoin de ça! En fait, je finis par comprendre qu’il veut me le vendre. Je secoue la tête de droite à gauche et je me sauve presqu’en courant. Je n’ai pas besoin d’emmerdes supplémentaires j’en ai suffisamment comme ça.
Pour poursuite ma route, je choisis le train. Je resterai tranquille dans mon coin, ferai un roupillon en souhaitant que personne ne s’impose dans ma bulle. J’ai rasé ma tignasse, acheté des verres fumés et remplacés mes fringues, histoire de ne pas me faire reconnaître si par hasard on me recherche jusqu’ici. C’est bientôt l’heure de l’embarquement, je suis prêt.
Après quelques correspondances je file vers Montpellier où je compte bien trouver un peu de répit. Je m’assoupis quelques minutes après le dépa. À mon réveil, l’homme assis en face de moi, m’observe. Qu’est-ce qu’il me veut celui-là? « Vous êtes agité jeune homme, votre conscience n’est sûrement pas en paix, vous voulez vous confier à moi, je suis curé et serai dans le secret de la confession » C’est bien ma veine de tomber sur un prêchi-prêcha moi qui n’est pas mis les pieds dans une église depuis ma p’tite communion. Et il continue à me déblatérer ses conseils essayant, je le devine bien, de toucher une corde sensible qui me fera réagir. Peine perdue m’sieur le curé, je ne joue pas dans le même terrain de jeux que vous que je me dis à moi-même. Mais il est tenace, il essaie la douceur, la culpabilité, la foi bien sûr, persuadé qu’il finira par me convaincre d’ouvrir le clapet pour lui cracher ma putain de vie. Je ne lui ferai pas cet honneur et décide pour avoir la paix de lui offrir une histoire aux antipodes de ce que j’ai connu. Je me lance : « Pardonnez mon mutisme M’sieur le curé, ça fait trop mal d’en parler ». Je sanglote et me tords la figure, je me trouve bon acteur. Et je lui raconte n’importe quoi, je crois bien que j’exagère un peu trop. Et je termine ainsi : me voilà pauvre diable à chercher refuge dans la méditation et pour se faire je m’en vais rejoindre un groupe avec lequel je poursuivrai mon cheminement spirituel. Et je termine en versant une petite larme. Il me scrute et je vois bien qu’il n’a pas gobé mon discours. Il m’informe qu’il descend au prochain arrêt et qu’il priera pour moi. Grand bien lui fasse.
Une fois seul, je réfléchis à ma situation et m’avoue que ma vie n’est pas très reluisante, toujours dans des combines qui tournent au vinaigre la plupart du temps et je n’ai que 31 ans. Pas de famille, pas de travail, pas d’argent, pas d’amis recommandables, rien ! Il semble bien que le curé, finalement, a su m’atteindre. Je devrais mettre les efforts pour changer de vie, me dis-je, après tout je suis encore jeune, tout reste possible. À mon arrivée à Montpellier, je m’y attellerai, je m’en fais la promesse.
Me voici arrivé à destination, le cœur plus léger avec des envies d’améliorer mon existence. C’est confiant et tout sourire que je descends du train. Mon enthousiasme fond rapidement car j’ai tout un comité d’accueil qui m’attend sur le quai. On me passe vite les menottes et ma nouvelle vie se dessine déjà dans mon esprit, entre les quatre murs gris de la cellule d’un pénitencier.