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Nous sommes dans une forêt de hêtres. Les arbres hauts nous cachent le ciel et son éclat. L'ambiance est aux lumières verdâtres. Il fait sombre. Le terrain est en pente ; des blocs de granite aux tons gris nuancés émergent du tapis de feuilles qui craque lors de nos déplacements. Qu'est-ce que je fais là, bon sang ? Oui, la mission ! Nous sommes tous là pour l'accomplir. Tout autour de moi, des femmes, des hommes qui ont un idéal commun : aimer. Mais il y a tant de façon d'aimer. C'est une véritable débandade dans cette végétation qui ne demanderait seulement qu'à s'égailler dans le murmure du vent et le chant des oiseaux.
Une rafale de mitraillette claque vers le sommet de la colline ; celui-ci doit être bien défendu par ceux dont nous devons réduire à néant l'action nocive. Y arriverons-nous seulement. Malgré nos renforts, j'en doute encore. Pourtant nous sommes en nombre. Une autre rafale nous fait courir dans tous les sens. Tiens, lui, je le reconnais. Il m'a pris ma copine de l'époque quand j'avais 15 ans. Il a l'air pressé. On dirait qu'il veut rejoindre quelqu'un à sa manière de progresser en se cachant d'arbre en arbre. Ah, c'est elle qu'il voulait ; je ne la connais pas.
Les bruits s'intensifient. Où est Volidène ? Elle était avec moi il y a deux minutes. Les bruits de mitraillette ont dû lui faire peur. Elle se cache où ? Là-bas, quelqu'un avec le même chemisier jaune qu'elle. "Volidène !". Elle m'a entendu, elle se retourne. Non, ce n'est pas elle. Ah zut celle-là je la reconnais ; c'est celle qui, avec ses grands yeux de merlan frits me prenait pour son prince charmant. Est-ce que j'ai une tête de prince charmant ? Non, tout mais pas elle. "Volidène, Volidène !". Tient, appuyée contre un hêtre, celle qui m'a fait découvrir la douceur d'une peau féminine. Brassens a raison : "Jamais de la vie, on ne l'oubliera...". Je n'oublierais pas non plus ma première vraie claque !
Les coups de feu redoublent. Il y a des blessés. Il y a deux mecs qui se battent là-bas avec, ou pour, je ne sais pas, une fille qui est sacrément jolie. Sa tête me dit quelque chose. Des loups, il y a des loups. Ils ont lâché les loups pour nous coincer. "Volidène, s'il te plait, répond moi, tu es où ?". Et celle qui grimpe à un arbre, c'est celle qui n'a jamais voulu de moi quand on était au lycée. Pourtant elle me plaisait. Mais je ne suis jamais arrivé à la séduire. Trop timide. Tant pis pour elle : elle ne saura jamais à côté de qui elle est passée, non mais sans blague ! Pas le temps de lui expliquer.
Une odeur de poudre mêlée à la transpiration commence à envahir la forêt. Adieu les senteurs de sous-bois, muguet ou buis. Là, c'est elle ! "Volidène ! Je te retrouve. Mais tu es blessée ! Tu saignes à la jambe. Viens, appuie-toi sur moi. On va y aller doucement. Regarde, on approche du sommet. On va s'en sortir tous les deux. Oh, attend, cache-moi ; il y a quelqu'un contre le rocher avec qui je n'ai pas été très régulier dans le passé. Pourvu qu'elle ne me voie pas".
Mais à cet instant, un sifflement aigue traverse la forêt et c'est le souffle d'une explosion assourdissante qui nous plaque au sol. Une pluie de terre et de cailloux mêlés s'abat sur nous. Une deuxième explosion fait trembler le sol tout en nous projetant sur un arbre en contrebas. Des cris dans la forêt, partout des cris. La fumée se dissipe. Je suis à moitié enterré. Volidène me tire par le bras pour me dégager. Ses habits sont tout déchirés. Elle est couverte de terre et de sang. Son sein droit saigne : un si beau sein... Je ne suis pas dans un meilleur état. Je lui crie : "J'ai mal partout. Il faudrait courir ; je ne peux pas, j'ai mal au périnée". La fille du rocher passe à toute allure près de nous et me lance sans s'arrêter : "C'est bien fait pour toi, pauvre andouille".
C'est Volidène à présent qui me soutient. "Là, regarde, le passage derrière le mur. Vient, on y va". On arrive en haut d'un surplomb. "Vas ‘y, t'arrête pas, saute avec moi". Je clopine le plus vite que je peux. Je sens à peine les cailloux sous mes pieds nus. Seuls les doigts de Volidène sur mon bras écorché me procurent des sensations. Et puis tout s'arrête. Le silence envahi ma tête. Mon corps mime les mouvements d'un coureur au ralenti. Et alors je tombe, tombe de plus en plus vite, tombe en entendant les cris de Volidène se perdre dans le vent. Celui-ci est de plus en plus fort, de plus en plus froid. C'est le grand vide qui se bloque brutalement dans un grand choc. Les lumières s'éteignent.
Au bout du noir, un petit filet bleu. Deux filets bleus qui grandissent et une voix douce qui se fait de plus en plus clair au creux de mon oreille. "Henry, Henry, tu rêves à quoi ? Reviens vers moi.". J'ouvre doucement les yeux. J'aperçois ceux de Volidène. Ils brillent comme jamais. "C'est horrible, Voli. J'ai revu, comme une lutte armée, tout mon parcours amoureux pour venir jusqu'à toi.". "Tu les as toutes revues ?". "Presque". "Et alors ?". "C'est toi qui m'a sauvé". "Mon naufragé". "Ma corde". "Mon fouf fou". "Ma fofolle". "Bel imbécile". "Grande sauterelle". "Petit con". "Je désire le tient". "Mmmm !"


 

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