Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours transpiré.
Enfin ce n’est pas tout à fait vrai.
J’ai gardé en mémoire certains hivers rudes qui ne m’avaient pas fait suer. Je vécus en effet pendant l’enfance des hivers d’une dureté paralysante, des hivers du passé que les jeunes générations peuvent aujourd’hui seulement imaginer, observant çà et là les traces d’un autre âge sur des falaises sans nom.
Au sortir de ces saisons éprouvantes, je souffrais bien souvent d’un léger embonpoint qu’il me tardait de voir disparaître, pour ne pas, un jour, me retrouver au creux de la vague. Vous savez ce que c’est…
Je repartais donc en voyage, bien décidé à me bouger et à me faire de nouveaux amis, malgré ma sudation excessive. Quand on transpire à ce point, la vie sociale n’est pas aisée. J’étais sans cesse à l’affût de la moindre coulure, de la plus petite mouillure, et de toutes les preuves de mon hyperhidrose crasse.
Afin de mettre toutes les chances de mon côté, j’appliquais, de pore en pore, une pierre translucide que m’avait confié Alain, un voisin bienveillant, et qui était supposée calmer mes suintements excessifs. Ce n’était pas franchement une réussite…
Je me résignais alors à éviter toute agitation, voyageant lentement, bannissant l’exposition aux heures les plus chaudes et surtout, priant pour que ma vue ne soit pas une nouvelle fois troublée par cette écume piquante. Je ne voulais pas que mon inconséquence provoque un nouveau drame. Le souvenir de la collision d’avril 1912 me provoquait encore des sueurs froides !
Un matin d’été, un été très chaud, comme on en vit depuis quelque temps, je me réveillai encore moite et fatigué de la chaleur de la nuit. Je sentais une agitation autour de moi. Je m’étais assoupi la veille au soir, tout près du port, espérant y rencontrer sinon un ami, au moins une bonne âme à qui parler.
Des hommes, apparemment en possession du titre de docteur - je le sais car je les avais entendu échanger en ces termes : « Docteur Machin, voulez-vous bien me passer le thermomètre ? Bien sûr docteur Truc, voulez-vous également le flacon pour les analyses ? – me palpaient, me dévisageaient, prenaient mes mensurations et relevaient plusieurs fois ma température, incrédules. L’un d’eux, faisant fi de ma pudeur, se permit même d’aller ausculter ce que j’avais en dessous, si vous voyez ce que je veux dire.
Ils disaient de moi que j’étais amaigri, que j’avais perdu de ma superbe, que mon minois, d’habitude si cristallin, s’était teinté de gris. Je tendais l’oreille. J’avais moi aussi remarqué quelques petits changements ces derniers temps. Je mettais ça sur le compte de la chaleur étouffante. C’est vrai on est abattu quand il fait chaud, on est plus lent, on se préserve. C’est naturel…
Quand ils eurent fini, un des hommes se retourna vers moi et me dit, étranglé par l’émotion : « Je crois bien que c’est là votre dernier voyage, M. L’Iceberg ! »
Je devinai alors ma silhouette dans les verres de ses lunettes.
Il disait vrai. Je ne transpirais plus. Je fondais.