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Je l’entends par la fenêtre. Ça se passe tous les jours, en fin d’après-midi. Vers 17h00. Ou disons vers cinq heures, comme on le dit, plus simplement, chez les gens du quotidien. On dit cinq heures quand on prépare le goûter des enfants. On dit cinq heures quand on va voir sa grand-maman... 17h00, c’est l’heure des militaires, ou celle des sous-préfectures ou des horaires de train. L’heure de la radio et de la télévision. Alors que cinq heures, c’est l’heure de la maison, du foyer, familier et rassurant, devenu notre horizon à tous, maintenant. L’heure du chocolat chaud, l’hiver, quand le jour décline et que la longue soirée pointe le bout de son nez. L’heure de la citronnade, en Provence, l’été, quand les cigales chantent encore, mais un peu moins fort tout de même.

On dit cinq heures, aussi, quand on est confiné. Les enfants sont là et emplissent la maisonnée, du matin au soir, désormais. Cinq heures, c’est leur heure. L’heure, où, d’habitude, ils sont libérés. Ils ne vont plus à l’école aujourd’hui et pourtant… Pourtant, je me surprends, avec eux, à souffler un peu quand vient cette heure admirable. Cinq heures, ce n’est plus tout à fait l’après-midi. Mais la soirée n’est pas encore là. Un entre-deux. Un mélange des genres. J’aime. Un mélange, où me reviennent les souvenirs de cloche sonnant la fin des cours. L’heure où, sans raison particulière, on court. L’heure d’un bonheur, qui reviendra. Que l’on goûte d’autant plus qu’il reviendra. A coup sûr, il reviendra. Celui-là, il ne s’échappera pas. Enfin, pas tout de suite. Mais ça, quand on est enfant, on ne le sait pas. Et c’est tant mieux…

Au printemps 2020, plusieurs milliards d’êtres humains se sont retrouvés enfermés chez eux. Confinés, bloqués, reclus, à cause d’une épidémie. D’un virus. Mondial. Un événement inédit. C’est à la faveur de cette présence quotidienne obligatoire dans ma maison que je l’ai découvert, par ma fenêtre. Au début ce n’était qu’un bruit de fond. Je n’y prêtai guère attention. Occupé à terminer mon travail du jour, effectué, comme il se doit, à distance, aidé en cela par la technologie contemporaine : l’ordinateur, l’internet, la visio-conférence, le courrier électronique… Ou bien affairé à quelque tâche ménagère : commencer de préparer le repas du soir ou bien ranger le linge… J’entendais alors, vaguement, ce son si doux et si vif à la fois. Chaque jour, à cinq heures, donc. La troisième ou quatrième fois, je me mis à l’écouter et non plus, seulement, à l’entendre.  Je fus tout de suite charmé. C’était de la flûte. Oh, pas du pipeau comme celui dont j’arrivais péniblement à faire sortir quelque son harmonieux pendant mes cours de musique, au collège. Non. Pas non plus celui que l’on entend, bien trop souvent, un peu plus tard, lors du journal de 20 heures. Que l’on n’appelle pas, d'ailleurs, le journal de 8 heures.

Non, c’est bien de la flûte que, tous les jours j’entends par ma fenêtre. Comme on en entend, parfois, dans les concerts des festivals d’été ou si l’on veille assez tard, en regardant Arte… Ce n’est pas à proprement parler mon instrument préféré, la flûte. Parlez-moi de la guitare de Hendricks ou de John Lee Hooker. Ou, tiens, du piano de Gould. Ils me sont bien plus familiers. Mais cette flûte-là est légère et imaginative. Elle vous invite à la joie en même temps qu'elle vous apaise. Elle vous fait voyager l’esprit comme volent les papillons…

De la flûte, donc, un peu enchantée… Jouée avec brio. Cette musique entre par ma fenêtre, tous les jours, depuis que je suis, chez moi, comme enfermé. Et quand je l’entends, je ne suis plus enfermé chez moi. La flûte me permet, l’espace d’un instant, de m’évade. Ce n’est, somme toute, que de l’air qui traverse un tube, vous me direz. C’est vrai. Mais cet air est magique. Un air, c’est bien aussi une mélodie, d’ailleurs. L’air est d’abord inspiré par le musicien, qui l’expire ensuite dans ce tube, tout en bougeant ses doigts. Une respiration. Celle qui échappe aux victimes de ce virus, quand ils quittent ce monde. Cette flûte, c’est la vie qui continue, à ma fenêtre.

Depuis que j'y ai fait attention, je suis au rendez-vous, tous les jours. A la fin du travail, à l’heure du goûter. Quelques heures avant le tintamarre et les applaudissements qui s’efforcent de soutenir nos soignants. J’ai fait cette découverte pendant les premiers jours du confinement mais, après tout, peut-être que cette personne joue de la flûte tous les jours depuis bien plus longtemps, sans que je ne m’en sois jamais aperçu ? Je suis rarement chez moi, habituellement, à cinq heures. Je travaille. Ou alors j’y suis le weekend… Et quand je suis là, je ne suis peut-être pas assez attentif pour l’entendre. Ou peut-être y a-t-il trop de bruit dans le quartier habituellement ? Nous passons tellement de temps à nous divertir que nous passons parfois à côté de couleurs, de lumières et de sons, et de musiques, qui sont là, juste à côté de nous, perceptibles… Par la fenêtre.

Oui, ce confinement a du bon. Il nous révèle des détails que l’on ne voyait plus ou que l’on ignorait. Le chant des oiseaux. La couleur que prennent les feuilles de l’arbre, ce grand arbre de l’autre côté de la rue, lorsque le soleil se lève… J’ai donc une voisine ou un voisin qui joue de la flûte. Avec grande virtuosité et beaucoup d’émotion. Il faudra que je sache qui c'est. Avec qui donc ai-je j’ai rendez-vous, chaque jour, à ma fenêtre ? Alors, c’est décidé ! Lorsque ce confinement s’achèvera, je me mettrai en quête de retrouver cette personne. Je ne la connais pas encore mais je connais et apprécie sa musique. Il faut imaginer le monde d’après, nous dit-on… Dans mon monde d’après, je saurai qui joue de cette flûte, que j’entends, tous les jours, à cinq heures, à ma fenêtre…

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