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Elle se retrouvait dans le train pour Wuppertal, elle ne connaissait pas un mot d’allemand, pourtant, c'était le centre du monde.

Le Tanztheater, troupe Pina Bausch auditionnait.

A la maison, les affiches de ses créations dévoraient les murs de presque toutes les pièces et petite, elle s'y était perdue à inventer la vie de ses étrangers intimes....

Corps enturbannés de robes en mousseline, talons aiguilles, hommes en costume, chevilles de marbre souple, plantées dans le sol, la tête tout près de l'azur.

Elle savait que sa mère n'était plus une mère quand elle placardait avec passion ces photographies, elle en devenait une femme étrange et sensuelle qui l'avait amenée au Théâtre de la Ville  EN VRAI assister à Nelken.

Le train cisaillait la route, elle avait dans sa petite valise des guêtres tricotées à la main, et un jogging .... Pas de pointes ni de tutu ni de fard à paupières.

Elle avançait assise dans le souvenir de ce parterre géant du théâtre planté de milliers d'œillets roses qui célébraient la révolution.

Les femmes arrivaient du fond de la terre vers l'avant- scène en foulant cette terre rose, pieds fouettés par les tiges, rien n’était obstacle, la victoire des pas un saut dans l'obstination généreuse de vivre et scander la force intérieure.

Dans le wagon presque vide, elle se mettait à regarder ses chevilles, fines et fortes, oliviers séculaires de sa jeunesse.

Elle allait au cours de danse trois fois par semaine et ménageait les heures creuses, à la maison quand personne n'est là et que le couloir et le salon deviennent un espace vibrant à pousser tous les murs. Elle y tournait, bras en haut et pieds de fée, habillée en lycéenne.

Elle arrivait bientôt et le grand calme se déposait sur ses épaules, protégée contre la performance, avec la gravité des mouvements déjà initiés.

Elle ne ferait pas de son mieux, elle ferait comme elle est devant l’auditoire des professionnels.

Elle n' allait pas danser en terre inconnue elle savait sans comprendre qu'elle serait une des leurs. Son sang affluait dans les mollets comme une chatouille vibrante et elle ferma les yeux avant l'arrêt du train pour annoncer sa venue.

 

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