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« Je suis empêtré dans ton amour fécond. » chuchota-il en pensant à Ghislaine. « Je traine à quatre pattes sur la terre par temps de pluie. Tu m’aimes dans la boue. Tu t’accroches, tu te plaques sur moi. Oh mon amour, bordel ! La terre entière s’accroche à moi. La terre, la terre, la femme. Je ne m’envolerai pas. Sauter est déjà un exploit. Et j’ai vu nos enfants grandir, naviguer jusque derrière l’horizon ; ou rester, toucher le ciel et me faire à leur tour de l’ombre. Et me voilà à vivre à l’ombre des autres, des jours, à l’ombre de mon garage, à l’ombre de mon whisky, à l’ombre de notre cocon. Le pire est bien le recoin dans lequel je me terre à l’ombre des émissions de télé lumineuses et explosives. Je regarde envieux des inconnus s’envoler jour après jour. »

Voilà ce qu’Hervé ruminait depuis trop longtemps. Ça devenait grave. Les fées de l’arbre de devant la fenêtre de la cuisine, le regardaient boire son café, triste. Et, devant Hervé, il y avait l’évier, le double-vitrage, puis la voiture garée dans l’allée et l’arbre, et plus loin derrière la route, le ciel gris du matin au-dessus d’une haie végétale et noire.

Les petites princesses des bois soupiraient.   Elles avaient essayé de lui parler. En vain. Alors, assises sur les branches, elles chantèrent.

La grosse, l’énorme erreur d’Hervé, était de croire que la femme, la terre et le principe fécond appartenaient à Ghislaine sa femme, aux autres, à ces enfants, à son patron. Mais ce matin-là. Allez savoir pourquoi, Hervé entendit une petite mélodie sortie du matin gris. Il entendit que la femme qui danse, la Terre précieuse et l’esprit fécond sont en toute chose et, surtout, au plus profond de lui-même.

Il finit par aller, depuis ce jour, d’un pas plus léger, portant attention aux petites choses, protégeant ses voisins des petits riens qui tombent çà et là, dansant raisonnablement au supermarché dans un virage entrainé par son caddy, et maternant d’un sourire les passants et même Ivan le boucher renfrogné qui en avait secrètement besoin. Et les fées chantaient « femme et Broadway ».

Il se mit à essayer de comprendre, à essayer de faire corps avec tout. Les musiques nulles, les gens nuls, les objets nuls devinrent finalement des choses étranges et curieuses, à comprendre, à ressentir, puis à relâcher avec le sourire. Et il ne fallait pas déconner : Hervé avait déjà des violons d’Ingres. La mécanique et le bricolage devinrent objet de discussions, de précisions et d’améliorations continuelles, et partagées. Bordel ! Il voulut tout savoir même s’il ne comprenait pas tout. Et les fées chantaient « la Terre, le voyage, l’universalité ».

Puis Hervé créa. Il créa des objets. Il créa la confiance de ces voisins, l’amour de ses fils. Il rebâtit le cocon et son amour avec Ghislaine. Il devint à lui tout seul un principe créateur. Et les fées chantèrent « Hervé, nature féconde ».

Il prépara ce matin-là, le café à la main, sa retraite qui ne tarderait pas à venir.

Dans ce matin gris, Hervé avait posé son café. Il était sorti. Puis, de son palier, il respira un bol d’air. Il ouvrit grand la bouche et il mangea la Terre, la Femme et la Nature entière pour devenir un géant. Un avenir prometteur et le monde s’offrait à lui. Les fées poussèrent un cri de joie. Elles se congratulèrent amicalement comme le font les colibris satisfaits. Puis elles s’endormirent heureuses sur la branche de l’arbre de devant la maison d’Hervé et Ghislaine.

 

 

Tag(s) : #Textes des auteurs
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