D’abord ce fut l’odeur. C’est quoi ? Je cherche dans ma mémoire, mais rien, rien de rien ne me vient ! Pourtant je la connais … Je prends conscience de mon corps, ouvre les yeux. Je ne sais pas où je suis, c’est trouble. Je commence à bouger et regarde autour de moi. J’entends des gens parler sans comprendre ce qui se dit.
Je suis sur un espèce de canapé qui n’a plus d’âge. Je me redresse doucement, inspecte des yeux cette pièce où le mobilier (d’époque ?) est là, basique : une table avec ses quatre chaises, un ancien pétrin à pain, une énorme cheminée et des fenêtres avec des carreaux à la française.
L’odeur ! Oui je sais, celle de l’iode, de la mer ! Je me lève alors, ça tourne, je m’approche tant bien que mal de la fenêtre. Je vois alors l’océan, pas trop loin qui est déchaîné, comme toujours. Mais comment je sais ça ?! Mais où suis-je ? J’ai froid. Un chandail traîne dans un panier, je m’enveloppe de sa douceur. Je ne suis pas habillée dans mes vêtements habituels … Quelque chose cloche. Alors d’une de mes poches tombe un dé à coudre ?! Je le ramasse avec plein d’étonnement, Mais c’est quoi tout ça ?
Une porte s’ouvre et je vois apparaître une femme déjà d’un âge habillée tout en noir avec, sur la tête, une coiffe bretonne, la coiffe bigoudène !
-« Alors ma petite, ça y est, on est réveillée ?
-« Mais qui êtes-vous ?
-« Comment qui je suis ? Marie, bien entendu !
-« Marie qui ? Et qu’est-ce que je fais là ?
-« Mais je suis la responsable de la confrérie des brodeuses ! Je suis ta grand-mère voyons, tu es revenue au pays.
-« Je ne comprends rien ; ma grand-mère s’appelait Marie, en effet, elle était brodeuse, ça c’est vrai aussi …. » Je Panique.
Elle m’explique qu’elles m’ont trouvée sur les rivages de l’Océan, inconsciente, toute mouillée, froide. Elles m’ont alors amenée ici, séchée, habillée, reposée.
-« Je suis heureuse que tu sois revenue. La cérémonie est prévue demain, je pense que tu seras prête.
-« Quelle cérémonie ?
-« Tu vas être honorée et sacrée pour faire partie de la confrérie.
-« Mais … C’est pas possible …. Je …. Ne sais pas …. C’est compliqué ….
-« Mais non ! As-tu ton dé à coudre ?
-« J’en ai trouvé un dans ma poche !
-« Eh bien, c’est le signe ! Allons ma petite, fais-moi confiance. Je suis contente de cette démarche ! Alors où va-t-elle se passer ?
-« Comment ça où ça va se passer ?
-« Dans ta poche, tu n’as pas l’adresse de ta consécration ? «
Je fouille mes poches, un petit papier jauni y est, en effet, avec une adresse : celle de mes grands-parents en Vendée !
-« Oui, c’est à Saint Etienne de Mer Morte !
-« Parfait, c’est notre village ! Allez, viens avec moi, nous allons tout organiser et préparer. »
Dépitée, je la suis. Ma mémoire remue tout ça, je me souviens de mon prénom ; ce lieu je le connais, je ne sais plus … L’image de ma grand-mère me revient, c’est bien elle.
Dans la pièce d’à côté, d’autres femmes sont là. Elles sont toutes habillées de noir avec chacune des broderies différentes sur leurs tabliers respectifs et des coiffes plus magnifiques les unes que les autres. Elles sont aimables, elles m’embrassent et m’ont préparé une jolie robe noire avec, tout comme elles, un tablier brodé.
Elles m’habillent, je me laisse faire. Je suis de nouveau émerveillée. Marie me dit que je dois préparer ma coiffe pour demain ; mais que toutes sont là pour m’aider à la réaliser. Alors je commence à faire mes dentelles comme si j’avais fait ça toute ma vie. Des conseils me sont prodigués, on m’aide, on me guide. En fin de soirée la coiffe est sur le point d’être terminée, c’est prodigieux !
Nous sommes déjà ‘demain’ à Saint Etienne de Mer Morte. Deux femmes m’escortent, une à ma droite l’autre à ma gauche. Derrière une troisième suit avec, sur un coussin, ma coiffe bigoudène. Nous avançons vers ma grand-mère dignement. Marie est fière de moi. Elle me sacre ‘Dentellière’ avec des fuseaux et me place la coiffe sur la tête avec de belles épingles dorées. Ca y est, je fais partie de la confrérie. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens heureuse, un bonheur infini m’envahit, ma grand-mère est près de moi, quelques larmes coulent sur ses joues, je tombe dans ses bras.
Quelque chose de dur m’a heurté ! J’ouvre les yeux et je me retrouve parterre dans mon salon ; je suis tombée de mon canapé. Ce n’était qu’un rêve mais la sensation de la présence de ma grand-mère Marie est en moi. J’étais heureuse d’être avec elle, elle était si fière de moi !
J’aperçois alors mon panier à ouvrage duquel sortent une dentelle avec les fuseaux qui m’attendent, un joli dé à coudre et la dernière lettre que m’avait écrite Marie.