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« Bon, c'est parti » annonce joyeusement l'animatrice qui présente le loto, un large sourire convenu affiché sur son joli minois.

Au milieu de ce qu'on appelait autrefois le « petit écran » et qui de nos jours est devenu un écran géant, les petites boules colorées dansent en rythme dans la grosse sphère transparente. La musique de fond est là comme pour faire oublier l'attente de la sortie aléatoire des numéros gagnants.

 

20H30, vendredi 13, quelque part dans Paris.

 

À l'intérieur de son petit studio de 25 m², Ludivine est assise sur le bord de son vieux canapé usé. Les yeux rivés sur la télévision, elle retient son souffle et sent des palpitations sous sa poitrine. « Et si c'était possible ? » s'était-elle répétée toute la journée.

 

La première chose qu'elle avait fait ce matin fut d'entrer dans le bureau de tabac et se diriger vers le petit comptoir de la Française des Jeux. Peu habituée à ce genre d'activité, Ludivine avait regardé la grille, concentrant son attention sur chaque petit carré.

« Quel dilemme de devoir faire un choix » avait-elle ruminé, pour immédiatement se reprendre en se disant d'éviter de trop réfléchir et de se lancer.

A chaque case cochée, elle avait douté, imaginant que ce serait le numéro d'avant ou d'après qui serait tiré le soir même. Mais ce qui avait finalement guidé sa main pour choisir les nombres, c'était l'amour caché qu'elle portait à son voisin. Instinctivement, ses doigts avaient amené le stylo vers les chiffres correspondant au numéro de téléphone de cet homme qu'elle croisait tous les jours dans l'escalier et à qui elle n'osait pas déclarer sa flamme.

« Et voilà, c'est fait, advienne que pourra » s'était-elle murmurée en donnant la feuille au buraliste. Puis, ayant la sensation d'avoir fait ce qu'il fallait pour améliorer sa vie, Ludivine était sortie du bureau de tabac, et la tête pleine de rêves, elle avait machinalement rangé son ticket dans son portemonnaie et emprunté le chemin la menant au travail.

 

Tout en marchant d'un bon pas, la tête haute, elle s'était imaginé être La grande gagnante de l'Euromillion, dont la super cagnotte était de treize millions d'euros.

Elle s'était vue en train de préparer son tour du monde, n'ayant que l'embarras du choix des continents, des pays auxquels elle pensait depuis plusieurs années : l'Asie, ses temples, ses forêts tropicales verdoyantes ; l'Amérique du Sud et ses couleurs chatoyantes ; New York et son architecture, sans oublier les pays d'Europe, Rome, les Îles Grecques...et pourquoi pas aussi...

 

« Eh, attentiiioooonnnn ! Ça va pas ? » avait-elle hurlé soudainement au vélocycliste qui était arrivé à toute à allure et qui avait manqué de la renverser en lui coupant la route.

Cet imbécile l'avait fait redescendre brutalement des hautes sphères de son imaginaire, et revenir à la réalité des rues de Paris où la circulation motorisée et piétonne était intense et bruyante.

Mais quelques pas plus tard, Ludivine était déjà remontée dans son nuage, sur lequel elle pouvait voir tout ce qu'elle projetait de s'offrir : ce beau canapé en velours rouge qu'elle voyait tous les matins dans ce magasin devant lequel elle passait...

Une petite voix enfantine était aussi venue lui susurrer dans la tête : « Et pourquoi pas aussi une maison au bord de l'océan ?... Si, imagine, une maison en bois de plein pieds, lumineuse, avec du parquet massif en chêne vieilli et huilé à larges lames, sur lequel il ferait bon marcher pieds-nus. ». Approuvant l'idée, Ludivine s'était demandée alors sur quelle côte elle pourrait s'installer ? Au bord de quelle mer ? Océan Atlantique ? Méditerranée ? Plutôt grande plage de sable blond ou crique à l'eau turquoise ?

« Mon dieu, même riche les choix sont difficiles à faire » se dit-elle, contrariée par cette nouvelle décision à prendre.

 

Elle n’avait pas eu le temps de répondre à cette question cruciale car ses jambes l'avaient amenée devant son lieu de travail sans qu'elle ne s'en rende compte.

Les heures qui suivirent furent longues. Installée à son bureau, la nouvelle Ludivine multimillionnaire préparait déjà son départ : elle se voyait narguer son patron méprisant et ses rombières de collègues qu'elle ne supportait plus d'un « Tchao Bye Bye » condescendant.

 

20H30, vendredi 13. Dans son canapé Ludivine a cessé toute activité.

« Enfin, ça y est, nous y sommes ! Que personne ne sonne à la porte, que personne ne m'appelle. » Concentrée, Ludivine invoque ses numéros qu'elle a appris par cœur, comme si elle pouvait agir sur le tirage au sort.

« Bon, c'est parti » annonce joyeusement l'animatrice qui présente le loto, un large sourire convenu affiché sur son joli minois.

« Le premier numéro, ..., le 6 ». Ludivine ouvre grand les yeux. Elle a au moins un bon numéro.

« Le deuxième numéro,..., le 42 » commente la présentatrice. Ludivine sent son ventre se serrer.

« Le troisième numéro, …, le 27 » renchérit la jeune femme souriante. « Trois bons numéros ! » dit Ludivine, toute excitée à son chat qui attend patiemment sa pâtée.

« La quatrième boule, le quatrième numéro est le … le 39 ». Le cœur de Ludivine commence à battre très fort, son esprit devient confus...

« Le cinquième numéro, …, le 44 » d'un coup, Ludivine s'écroule de tout son poids dans son vieux canapé.

« Le numéro étoile…, le 7 » Évanouie, elle n'entend pas que la présentatrice annonce à la France entière la combinaison gagnante que Ludivine a joué ce matin.

 

Lorsqu'elle revient à elle, le tirage est terminé, et la publicité braille les vertus du jambon de Bayonne.

Alors, Ludivine regarde sur internet le tirage et réalise que son voisin chéri lui a porté chance puisqu'elle a gagné la super cagnotte.

« Mais que vais-je faire de tout cet argent ? » se demande-t-elle paniquée. Tout ce qu'elle avait imaginé dans la journée disparaît pour laisser la place à la peur, à l'angoisse, à la joie, à la surprise.

Toutes ces émotions contradictoires l’empêchent de dormir, la nuit s'éternise, elle tourne en rond dans son petit studio, réfléchit, pleure, rit, se demande à qui le dire ou pas...

 

A 8h, enfin, n'en pouvant plus, elle descend fébrilement les escaliers de l'immeuble, son portemonnaie dans la main. Elle ne s'est même pas préparée pour aller travailler puisqu'à présent elle peut démissionner.

D'une voix timide et presque gênée, Ludivine explique au marchand de tabac qu'apparemment, elle a joué les bons numéros de l'Euromillion. Celui-ci, déjà au courant que le gagnant ou la gagnante est client ou cliente chez lui. Il lui demande son ticket.

Ludivine, tremblante ouvre son portemonnaie, s'apprêtant à mettre le bout de papier sur le comptoir. Mais elle ne le trouve pas. Le ticket n'est pas là. Ludivine sort les papiers un par un. Chaque pièce de monnaie, sa carte de crédit, ses cartes de fidélité. Mais hormis les tickets du supermarché, pas de ticket de loto.

« Comment est-ce possible ? » se demande-t-elle le cœur prêt à exploser. Elle remonte vite fait chez elle, fouille dans son sac, met la maison sans dessus-dessous, mais ne trouve pas ce fichu bout de papier. Se peut-il qu'elle l'ai fait tomber dans la rue en le rangeant dans son portemonnaie ? Hier, elle était dans la lune, et il y avait du vent. Il a dû s'envoler... Elle scrute le trottoir devant le tabac mais ne trouve rien.

Désespérée, en rage, et impuissante face à cette situation injuste et insupportable, Ludivine se voit dans l'obligation de reconnaître qu'elle a perdu son ticket.

 

Abattue et honteuse, elle retourne au bureau de tabac, informe le vendeur d'une voix suppliante qu'elle a égaré son ticket, et ce dernier peu compatissant lui répond froidement :

« Désolée ma p'tite dame, si vous avez perdu votre ticket, c'est perdu. Vous ne pouvez pas fournir de reçu ? Alors vous ne pouvez pas être payée, même sur votre bonne foi. C'est l'règlement. »

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