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Mon « petit chez moi », c'est ma bulle, mon univers, mon havre de paix. Je déteste y être importunée.

Dans mon petit appartement, je suis coupée du monde. Seuls mes amis et ma famille peuvent parfois y entrer mais souvent, je n'y attends personne.

Quand je regarde par la fenêtre, j'observe la rue du haut de mon septième étage, plongée dans mes pensées. Mes yeux se posent de temps en temps sur l'immeuble voisin, sans rien chercher de particulier, juste comme ça, pour voir si d'autres solitaires vivent comme moi. Puis je retourne à mes affaires.

Un jour, j'ai eu la désagréable impression d'être épiée. Je me suis sentie surveillée, scrutée par un regard insistent et déplacé. J'ai vu une silhouette immobile dans l'appartement voisin.

Cet intrus portait un chapeau, une espèce de feutre mou d'un autre temps et un vieil imperméable gris. Il me faisait penser à un personnage de films des années 70.

Ce devait être un type en mal d'aventure ou un frustré pour se comporter ainsi.

Je me suis très vite blottie contre le mur du salon et j'ai tenté de réfléchir. Je ne pouvais que me rendre dans la cuisine ou la salle de bain pour ne plus être vue par ce cinglé. J'ai pensé à ma chambre et, oh non ! Mon sang n'a fait qu'un tour. Dans cette pièce aussi, il pouvait me voir. Il m'avait, c'est sûr, déjà vue me déshabiller. Le voilage à franges posé sur mes fenêtres ne cache pas grand-chose.

Mais qui était-il à la fin, ce malotru ? Que me voulait-il ? Depuis combien de temps durait son manège ?

Cet individu venait de détruire ce que je chérissais le plus depuis que j'avais pris mon indépendance. Par sa faute, je me sentais vulnérable, blessée et choquée.

Cette nuit-là, je dormis très mal. Je rêvais que j'étais obligée de quitter mon appartement sans sac ni valise. J'abandonnai ma ville, mon pays, en courant, sans savoir où aller. J'arrivai en haut d'une falaise, hors d'haleine et je me figeai juste au bord du précipice. En me retournant, je vis l'homme au chapeau. Juste au moment où je basculai dans le vide, j'ouvris les yeux. Il était 5 heures du matin. J'attendis le lever du soleil. Je n'allumai pas. Une fois debout, je jetai vite fait un œil par la fenêtre. Il était déjà là. En milieu de matinée, il y était encore.

Avait-il quitté son poste d'observation quand j'étais dans la cuisine ou dans la salle de bain ? Connaissait-il mes horaires, mes habitudes ? Je me suis même demandée s'il avait dormi. Pourquoi gardait-il toujours ce chapeau et cet imperméable ?

L'après-midi, je suis descendue en centre-ville. J'avais rendez-vous chez l'ophtalmologiste. J'en ai profité pour me promener un peu dans le parc. Je n'avais plus envie d'être chez moi. Je regardais de travers tous les hommes avec un chapeau. J'ai sursauté en entendant quelqu'un courir derrière moi. Pour remonter, j'ai marché d'un pas rapide.

Arrivée dans mon salon, je l'ai encore aperçu. Je l'ai fixé quelques minutes d'un air furieux. Il n'a pas bougé.

Je décidai alors d'aller dormir chez mes parents. Je laissai la lumière allumée pour tromper l'ennemi et je m'enfuis dans la nuit.

Ma mère fut surprise de me voir. Elle n'avait acheté que deux artichauts, un pour elle et l'autre pour mon père qui ne semblait pas vouloir partager. De toute façon, je n'avais pas faim, ai-je souligné très remontée.

Pendant le repas, je leur ai tout raconté.

- Il faut aller à la police, a dit ma mère. C'est peut-être un pervers !

- Il avait des jumelles ? a demandé mon père. Depuis quand te regarde-t-il ainsi ?

- Je n'en sais rien, ai-je répondu troublée.

Le lendemain, je suis allée dans l'immeuble incriminé.

J'ai dû me farcir la lecture des étiquettes des boîtes aux lettres à la recherche d'un nom pouvant m'éclairer. Il y en avait un paquet.

J'ai souri quand j'ai vu le nom de Beauregard. Il ne manquerait plus que ce soit lui. Et Monsieur Loucher, c'était peut-être lui qui louchait sur mon appartement à longueur de journée. Il devait être louche celui-là ! J'ai ri en voyant que Madame Lecomte vivait avec Monsieur Lami. Les bons comptes font les bons amis. Ils allaient bien ensemble.

Il y avait trop de noms.

Un jeune homme, avec une guitare, est entré dans le hall. Il m'a demandé s'il pouvait m'aider. Je ne savais plus quoi faire. J'ai décliné son offre. Je pataugeais dans mon enquête.

Et puis j'ai pris mon courage à deux mains. Je suis montée jusqu'à l'appartement au septième étage. Je n'ai pas sonné. J'ai juste collé mon oreille contre la porte. Il n'y avait aucun bruit à l'intérieur quand soudain, une voix derrière moi m'a fait me retourner d'un bloc.

- Que faites-vous là, jeune fille ? C'était une toute petite vieille. Elle marchait péniblement vers moi.

- On se connaît ? a-t-elle ajouté.

J'étais blanche comme la mort et toute tremblante. Consciente de mon effroi, elle m'a invitée à entrer chez elle. Dans son appartement régnait un désordre indescriptible. Une vache n'y aurait pas retrouvé ses petits. Elle m'a fait entrer dans sa cuisine et m'a offert un café.

- Excusez-moi Madame, lui ai-je dit, vous vivez seule ici ?

- Eh oui, mon pauvre mari est mort voilà bientôt 5 ans. Depuis, je n'ai plus goût à rien. J'attends de le rejoindre.

En sortant, j'ai regardé dans le salon. Près de la fenêtre, je l'ai vu. Il était là.

J'ai éclaté de rire. Ma petite voisine, sans comprendre, a ri aussi et je suis sortie.

Sur le trottoir, je sautais, je tourbillonnais comme un gamine déchaînée. Un passant surpris m'a dit : Eh bien, vous êtes drôlement joyeuse Mademoiselle !

J'étais plus que ça. J'étais soulagée.

Heureusement que je n'avais pas prévenu la police.

J'avais vraiment besoin de lunettes.

Personne ne porte plainte contre un portemanteau même si celui-ci passe son temps à regarder par la fenêtre.

Depuis ce jour, régulièrement, je vais rendre visite à ma petite voisine. Je lui apporte ses courses, elle m'offre le café, nous papotons une heure ou deux et souvent, depuis nos appartements respectifs, nous nous adressons un petit signe.

 

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