On était en été. En vacances chez mes grands-parents, à Balbigny dans la Loire. C'était juste après le déjeuner. A cette heure où les corps et les esprits sommeillent, engourdis par la chaleur. Mon papy dormait en bas. Il venait de se remettre d'un cancer du foi et ronflait dans son fauteuil rouge, devant la télé.
J'étais dans sa chambre à regarder un agrandissement d'une photo où on y voyait ma grand-mère, mon grand-père et mon oncle, frère adoré de ma mère. La maison apparaissait en arrière-plan, couverte de roses en pleine floraison.
En regardant cette photo, je ne ressentais rien si ce n'était qu'un profond ennui. J'aurai été mieux dans ma chambre à écouter les cassettes de mes groupes musicaux préférés. "Pfff... et si j'allais faire du vélo". Le vélo, il n'y avait que ça à faire dans ce patelin perdu en pleine cambrousse.
J'enfourchais donc mon destrier d'acier et roulais jusqu'à la Loire. Je m'y arrêtais un moment pour y faire quelques ricochets. Je ne voyais ni n'entendais la beauté du paysage : le soleil se reflétant sur l'eau, les arbres immenses qui chantaient sous la brise, le chant des oiseaux, le bleu du ciel sans un nuage.
Non, tout en jetant mes galets dans l'eau, moi je me disais que je serai riche un jour, certainement pas à finir dans un trou comme celui-là. C'était un endroit pour les écrivains, les rêveurs, les faignants, les perdants. Et je n'étais pas une perdante. J'avais 13 ans.
16 ans, Toulon, Salle de classe. Le soleil rentre ses rayons dans la salle. Je vois par la fenêtre quelques branches de platane. Tout le monde a levé le doigt.
"Magali, tu veux bien nous lire ce que tu as écrit ?" Et m... ! Elle peut pas demander ça à un de ses abrutis qui a levé sa patte, comme un bon toutou ?
Je m'execute. La prof avait dit "écrivez ce que vous voulez". Alors je lis mon rêve d'être riche, puissante, sans patron ni personne pour me donner des ordres, mes maisons, mon jet privé, mon yacht, mes voyages.
"Qu'en pensez-vous ?" demande la prof. "C'est bien" "Oui, vraiment génial !" "Tu m'inviteras sur ton yacht ?" La prof rajoute "Tu devrais penser à te mettre à l'écriture". Ah ça non jamais, même si tous ces compliments flattent mon égo, je ne serai jamais écrivain !
Aujourd'hui, j'ai 36 ans. Et je suis riche, P.D.G. d'une société qui emploie plus d'un millier de personnes à travers le monde. J'ai un appartement sur les Champs-Elysés, une maison à Nice sur la Promenade des Anglais, un chalet a Megève. Mon yacht mouille dans le port de Villefranche-sur-Mer, mon jet m'emmene là où je veux. J'ai écrasé mes ennemis, et mes amis je m'en méfie. Je pars quand je veux, je fais ce que je veux. J'organise des fêtes somptueuses. Je suis seule mais je suis riche et pas écrivain.