Je ne suis pas née pour être mignonne à croquer. Je n'ai jamais aimé les enfantillages, les amabilités, les mamours et autres futilités.
Dès l'instant où je suis arrivée au monde, je savais déjà tout. J'avais tout compris. Sans rien demander, j'obtenais tout.
Pourquoi en faire plus ?
Je me suis efforcée, au fil du temps, à tout désapprendre, à devenir bestiale, primaire. Manger, dormir me suffisaient.
Je rêvais d'une île déserte pour être seule avec moi-même et encore, seulement les jours où je me supporte.
Aujourd'hui, à 50 ans, je ne fais rien. Je regarde la vie par écrans interposés. Je ne me pose pas de questions, je ne projette rien, je ne dérange personne. La vie continue de passer. Je n'attends rien ni personne et personne ne m'attend. Je suis là, voilà tout.
Quand, par obligation, il m'arrive de sortir, je rase les murs. Je ne supporte pas les autres. Je les trouve bruyants, insipides, vulgaires et inutiles. Ils me fatiguent.
J'aurais aimé être un chien. J'aurais montré les dents. J'aurais mordu à l'occasion. J'aurais passé ma vie à grogner sans me sentir obligée de justifier mon comportement hostile. C'est ainsi. C'est tout.
Hier, je suis sortie faire des courses. Il faut bien les faire.
Je marchais d'un bon pas sur le trottoir. J'avais mis une robe à cause de la chaleur. Je ne pensais à rien. J'avançais pour arriver au plus vite à ma destination.
Un type m'a croisé. Il n'y avait personne d'autre dans la rue. Je ne l'ai pas regardé. Je ne regarde jamais personne. Lui, ce salaud, apparemment, m'a reluquée. Ses pensées, il les a formulées tout haut, comme si je n'appartenais pas à la même espèce que lui. Il a dit : « Oh ! Jolie femme ! C'est forcément une gouine ! »
Je me suis retournée et je l'ai tué.
Tout s'est passé très vite. Et puis j'ai continué ma route.
J'ai longtemps habité au centre d'une ville. Je m'étais faite plus ou moins à ces harcèlements. Parfois, en croisant un pervers, je me faisais insulter, bousculer. Je me souviens d'un jeune homme qui s'était permis de me suivre pour ensuite me dire qu'il aimait mes collants. J'ai fulminé mais je me suis tue.
Là, pour ce qu'il s'est passé hier, c'était différent. Je n'étais pas préparée. Je pensais naïvement qu'en vivant à la campagne, j'étais à l'abri de ce genre d'abrutis. C'est censé être plus calme dans un village, non ?
Finalement, ils sont partout.
Hier, j'en ai tué un. Demain, j'en exterminerai d'autres.
Messieurs, la chasse est ouverte !
Je suis rancunière, intolérante et extrêmement dangereuse.