Rapul est souffleur de poussière de trottoir. Un bizarroïde de métier pour qui ne peut s'imaginer les lamelles hyper puissantes d'une soufflerie hors pair que l'on appelle "poumons à Rapul". Un cadeau fortuit de la vie. Un don du ciel que l'on n'a connu qu'à lui, du moins dans ce pays-ci.
Un p'tit café à peine bu, une tartine de beurre de cacahouète recouverte d'une épaisse couche de confiture aux fraises des champs, les petites, ces préférées, si vite engloutie et le voilà parti très tôt à l'aurore. Il roule sur son vélo rouge, qu'importe le température. Mais, lorsqu'il fait beau, c'est le sourire aux lèvres qu'en route vers le boulot, il lui arrive de faire un entracte entre la maison et le trottoir XYZ.
En effet, il se permet un réchauffement d'organe. Du moins c'est de cette appellation qu'il qualifie et justifie sa pause matinale qu'il aime bien raconter à qui veut l'écouter. C'est ainsi qu'il s'arrête chez le souffleur de verre dont la boutique se situe sur la grande route et lui attise le brûleur, histoire d'être bon compatriote, comme il dit d'une manière taquine tout en riant d'un rire gras comme lui seul peut le faire.
Après les salutations d'usage et les histoires déjà vieilles de la veille, il se met à souffler sur les briquettes de charbon de bois afin d'attiser le feu qui servira à faire ramollir le verre. Tout est sous contrôle crie-t-il alors à Verrul. Et il raffole regarder les flammes s'ingénues à fabriquer des danses macabres du Saint-Guy et courir au diable vert lorsqu'elles chauffent à blanc le bout de verre aux multiples couleurs entourant la longue tige de métal percée que le souffleur verrier, son ami de toujours, s'apprête à dominer. Car c'est en insufflant de toutes ses forces une très grande quantité d'air provenant de ses poumons hors normes, mais non comparable à ceux de Rapul, qu'il crée des formes esthétiques et variées. Cet art s'appelle le " verre soufflé ".
Rapul reçoit son horaire quotidien et hebdomadaire par la poste qu'il va chercher au coin de la rue, dans son casier de la boîte aux lettres communautaire. Jamais le même, toujours variable, unique et différent, voilà pourquoi il ne vit jamais dans la routine du travail.
Il arrive sur les lieux poussiéreux à l'heure pile. Il attache sa bicyclette à un arrêt de bus et part à pied en quête de la poussière à souffler. Et Dieu seul sait combien il y en a partout et toujours en tout temps.
Donc, Rapul peut relaxer, car jamais il ne pourra perdre son emploi ni ne manquera de travail. À moins qu'un problème aux poumons vienne inopinément contrecarrer sa carrière de souffleur de poussière et au pire y mettre fin.