.. Il y eut mon sang tôt. La catastrophe universelle, rapide, froide. Une semaine, peut-être deux. Tout au plus deux. Deux semaines suffirent à la disparition d’un genre et d’une espèce : les mâles humains et les abeilles, toutes les abeilles, sans qu’encore nul ne sache pourquoi et sans exception. Quant à l’homme, à peine quelques jours après le début de la pandémie, toujours dépourvu des funestes symptômes précédant l'irrémédiable expiation. Les scientifiques femmes paniquées et hommes condamnés prélevèrent mon sang et tout ce que, solide ou fluide, peut compter le corps d’un homme. De mon corps, Dieu ne choisit pourtant pas de faire une solution, guère plus que de celui des six autres survivants du genre masculin que comptait encore l’humanité, ultimes cavaliers arrivés après l'apocalypse. Sept survécurent pour assister en témoins privilégiés, choyés, l'été suivant, à la pire famine de la création. C’est ainsi qu’au titre de la survie de l’espèce, alors que des millions, des milliards de femmes agonisaient, sept hommes jouissaient des plus subtils plaisirs de la table. Devant la brutale disparition d’une moitié de l’humanité, personne n’avait pris la mesure de celle de la totalité des abeilles .
C’est rougi par le charbon ardant que le fil va pouvoir s’étirer et la fine gorge s’ébaucher jusqu’à se faire goutte féconde à l’extrémité. Ce sont amour et attention qui donneront vie et âme au fruit de la terre rouge et de la terre noire. La mémoire collective s’est perdue et plus personne ne se trouve pour raconter la genèse de l’alchimie du dard pour abeille et, bientôt, plus personne n’en connaîtra le procédé même. Nous étions sept et six, déjà, s’en sont allés. De l’air, de l’air pour que cesse de pâlir cette flamme et du souffre pour colorer de bleu l’acier!"
Tout s’est arrêté. Les voitures, les trains, les avions, les centrales nucléaires. Il a suffi que disparaissent les abeilles pour que vacille l’arrogante espèce dominante. L’impuissance des fleurs a donner des fruits désormais, manqua de peu d’avoir raison de l’humanité entière. Ainsi, les femmes durent se substituer aux minuscules butineuses pour espérer récolter de quoi nourrir les survivants. La minutieuse tâche sans fin demanda de l’organisation et la société des femmes devint ruches où les reines étaient garantes de la variété génétique et les butineuses de la qualité des récoltes.
C’est le bain violent et prolongé dans l’eau glacée qui fige le reflet bleu pétrole dans l’acier du dard naissant. Sur le fil de ce reflet encore tiède, un peu du sang de la paume aux mille entailles pour lui donner vie. Curieusement, le grand cataclysme a préservé sept hommes, les a rendus stériles et impropres à procréer. De leur sang, a fait la condition pour une pollinisation efficace au gré d’une enzyme dont aucune femme n'est plus porteuse et dont la synthèse, à ce jour, n'a pu être réalisée. Ainsi, ces hommes qui fondent les dards pour abeille sont aussi ceux qui leurs permettent de perpétuer la vie en allant de ruche en ruche pour aiguiser de leur sang ces lames qui œuvreront dés les prémices du printemps.
Ce dard à présent terminé, mon dernier, est bien trempé. Tu es né homme né parmi les femmes sans que personne ne sache vraiment pourquoi et ainsi es tu porteur de tous les espoirs de l'humanité par le biais d’une enzyme rare ainsi perpétuée et par ta fertilité inespérée. Je suis le dernier à m’éteindre parmi les sept cavaliers de l'apocalypse mais te voilà maintenant porteur de l’ultime savoir. Dernier des aiguiseurs de dard pour abeille et premier des hommes qui reconstruiront les lendemains...