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Moi, je ne comprends pas bien ces gens-là qui commencent à crier, à gesticuler, à lancer des pommes de terre avec leurs épluchures pour la moindre discordance, pour le moindre mot. Non vraiment, ces gens-là, Madame, Monsieur, je ne les comprends pas. Tenez par exemple, la dernière fois quand j'étais en voyage j'ai demandé à un quidam de m’indiquer la direction de la gare de l'Est. Alors au lieu de me répondre tout simplement "j’chais pas!" et poursuivre son petit bonhomme de chemin, il me dit "Tu vois pas que je suis pressé, tu te mets exprès sur ma voie pour m'empêcher d'avancer !" Je réponds: "Ben excusez-moi ! Allez y avancez !» et je lui cède le passage. Il me réplique : "Comment ça allez y avancez! T’es mon adjudant pour me donner des ordres !" Je lui dis : "Non, je ne vous donne pas des ordres, je vous invite seulement à partir puisque vous êtes pressé !" Alors le gars au lieu de s'en aller il persiste : "Voyons ! Qui autorise un type comme toi à m'inviter ?"

Je me suis dit nom di diou sur quelle sorte de fou je suis tombé. Je le regarde un instant sans rien dire : son nez se gonfle comme celui d'un mufle sauvage, ses paupières vibrent tels des rideaux détraqués par le vent et les poils de sa barbe hérissée semblent vouloir quitter leurs racines pour venir s'enfoncer sur son interlocuteur. Alors comme vous voyez, Madame, Monsieur, dans une telle conjoncture, que peut-on faire ? Ignorer le mufle et partir sans tricoter mot puisque le moindre mot ne fera qu'arroser la graine de la bagarre. C'est ce que j'ai fait : j'ai repris mon chemin en implorant le ciel et la terre de rendre la raison, du moins pour quelques minutes, à ce mufle car mon train devrait partir dans une quinzaine de minutes. Et bien non, le ciel n'obéit pas à nos prières : l'homme se pointe devant moi, me coupe le passage, et, mettant son grand nez perpendiculairement au mien, il articule : „ Tu ne t'en sortiras pas comme ça sans sparadrap !“ Que faire ? En venir aux mains puisqu’on est déjà aux nez, dites-vous ? Eh bien non ! Je ne sais comment cette phrase „ Tu ne partiras pas comme ça sans sparadrap!“ traversa mes neurones à la vitesse de la lumière pour ressortir un souvenir vieux d’une vingtaine d’années, un souvenir du temps où j’étais interne au lycée IH, et, comment n'ai-je pas reconnu du premier coup le garçon qui se tient à l'instant nez à nez devant moi, celui qui était et restera mon meilleur ami, un être bon comme du pain blanc, comment oublier ce grand farceur de K.! « Encore une fois tu m’as bien eu ! » Bon, j'ai une toute petite excuse car ce jour-là, il portait un épais bonnet et sa voix était enrouée par le rhume.

Passée l'émotion des retrouvailles, nous nous sommes attablés dans un bistrot voisin où nous avons, pendant plus de trois bonnes heures, parlés sans relâche du bon vieux temps, des vieux copains et des aventures d'autrefois. Et l’on riait, on s'amusait, nos yeux larmoyaient de bonheur, nos cœurs battaient au rythme des souvenirs retrouvés et la fleur de notre jeunesse a recouvré en ces moments tous les pétales que le temps lui a soufflés.

Le soir, je suis rentré chez-moi, très tard, par le dernier train. Quant à notre vieille expression du lycée „Tu ne t'en sortiras pas comme ça sans sparadrap !“ on l'utilisait à l’époque pour signifier "tu ne t'en sortiras pas sans égratignures" qu'il s'agisse de bagarre entre adolescents, de conquête galante ou d’autre chose.

Non vraiment ces gens-là je ne les comprends pas…

Tag(s) : #Textes des auteurs
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