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Je travaillais il y a quelques années dans un grand et vieil hôtel, dont il fut décidé une chaude journée d'été, de vider le grenier. Un fatras indescriptible de chaises cassées, d'armoires éventrées et de tables sans pieds fut enlevé petit à petit, finissant par dévoiler dans le fond de la pièce sept cartons remplis de livres. Je finissais mon service et demandais à jeter un œil avant qu'on les emmène à la déchetterie avec le reste. Je me retrouvais seule avec ces vieux cartons sales recélant l'espoir d'un trésor dans un faible parfum d'encre et de poussière. Je m'assis et commençais mon exploration. Dès le premier livre ouvert, les effluves de papier, longtemps contenues, m'assaillirent, m'emplissant d'un plaisir presque sensuel. La chaleur sous les combles était intenable et la sueur sur mon front se mélangeait à la crasse soulevée par chaque ouvrage que je manipulais. Il régnait un silence feutré, troublé seulement par le bruit des pages tournées se répercutant dans le vaste vide du grenier. Des particules dorées dansaient dans les rayons de lumière tombant des vasistas. On se serait cru dans une église dont les dieux auraient été les livres, la myrrhe, l'encre, et l'encens, le papier. Ce papier à la senteur entêtante, si forte d'être enfin libérée. Et enfin, dans le dernier carton, le Graal… Un bijou à la reliure de peau d'une teinte vineuse que je caressais doucement. En lettres d'or, sur la tranche, Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal. Je l'ouvris précautionneusement et l'odeur bien connue me frappa. Mais elle était différente, plus fine et plus ancienne. Je laissais glisser mes doigts sur le grain du papier jauni par les ans, fermais les yeux, et me laissais emporter dans un monde disparu. Là, une belle élégante aux gants de dentelle et à la robe blanche, porte soudain la main à son coeur, le souffle court, en lisant ces poèmes. Je tournais la page, et une nouvelle bouffée me montra un jeune homme se répétant, fiévreux, les mots imprimés sous ma main. Il savoure chaque syllabe, le corps tendu par tant de beauté. Une autre page encore, une autre exhalaison, et je crus distinguer toutes les mains qui avaient effleuré cet écrin avant moi. Tandis que que le jour s'éteignait, je restais à genoux dans la poussière, le recueil contre mon visage, à respirer l'âme d'un autre temps, conservée jusqu'à moi par ces quelques feuillets au parfum suranné.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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