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"Chic ! Une semaine sans les enfants !"

Derrière moi, mon mari battit des mains alors que, penchée à la fenêtre, je regardais s'éloigner la voiture de mes beaux-parents. Alexis et Chloé, à genoux sur la banquette arrière, me faisaient de grands signes – évidemment, belle-maman avait cédé et leur avait permis de n'attacher leur ceinture que lorsqu'ils ne me verraient plus – ça augurait mal de la suite…

 

C'était la première fois, la première fois que j'acceptais de me séparer de mes deux trésors pour une semaine, une longue semaine.

Jean-Luc m'avait pris par la taille : "Allez, on finit de boucler les sacs et on part !". Cette année, il n'avait pas cédé. "Ils sont grands maintenant – grands, tu parles, 4 ans et 6 ans, ce sont des bébés répliquais-je intérieurement – il est temps qu'on ait un peu de temps à nous pour nous retrouver en amoureux, on est tellement bouffés par le boulot et le quotidien, on va finir par devenir deux vieux croûtons avant l'âge – comme tes parents, ruminais-je, mes pauvres chéris, ils ne vont pas être à la fête dans cette maison sinistre !

Il avait réservé pour une semaine dans un hôtel de La Baule, sachant combien mon attirance pour cette station serait un argument de poids. Tout en fermant nos sacs de voyage, j'essayais de me convaincre : une semaine, c'est vite écoulé, et puis ils sont tous les deux, et puis entre la crèche et l'école ils ont l'habitude de se passer de leur mère dans la journée ; n'empêche, pas un soir depuis leur naissance je n'avais manqué au rite du bisou, des comptines et des histoires. Et Alexis, est-ce que j'avais bien mis son doudou dans la valise ? J'espère que Marguerite (eh oui, belle-maman portait un nom de fleur) n'oubliera pas de leur donner leurs doudous…

"Tu te dépêches ?" je vérifiais que tous les volets étaient baissés alors que le moteur de la voiture tournait déjà. "En route pour une nouvelle lune de miel !" s'exclama-t-il en m'embrassant avec fougue.

Pendant le trajet, je n'arrêtai pas de me retourner, étonnée par le silence inhabituel : pas de chamailleries "elle m'a pincé !" (Alexis), pas de "j'ai envie de faire pipi !" (Chloé), pas de "c'est quand qu'on arrive ?" (les deux). Je n'attendis pas la fin des trois heures de trajet pour sortir mon portable "Je vais vois s'ils sont bien arrivés." Jean-Luc haussa les sourcils "Eh bien, ça promet ".

Je tombai sur Maurice, beau-papa, toujours jovial, "Oui, oui, ça va bien, on est à la maison, les petits sont fatigués alors ils font la sieste". Et voilà ! Je ne pourrai même pas leur parler – ah ! mais il ne fallait pas qu'ils se figurent les grands-parents  qu'ils allaient mettre à profit cette semaine pour les détourner de leurs parents !

Une fois installés dans notre chambre d'hôtel, Jean-Luc me proposa une promenade sur le front de mer, puis un dîner dans un des restaurants du Pouliguen. Petit à petit, je me détendais. Finalement, ce n'était pas si désagréable de se retrouver en amoureux. Et puis sournoisement, le remords venait me tarauder – est-ce qu'ils sont couchés à cette heure-ci ? – est-ce qu'ils ont pu s'endormir dans cette chambre tristounette ?

"On va faire un tour au casino ?" Bonne idée, tiens ! Jamais on n'aurait pu le faire avec les petits ; quand nous partions en vacances tous les quatre, c'était retour à la location à 19 heures, coucher des enfants à 20 heures et soirée lecture ou télé selon le cas. Nous avons un peu joué – et perdu, bu quelques cocktails, et la soirée s'est achevée… en lune de miel.

J'ai dormi d'un trait. Le lendemain matin, comme nous l'avions programmé, un jogging sur la plage nous a permis d'éliminer les abus de la veille. De fait, je n'ai pas vu passer la première journée entre shopping le matin et bronzage l'après-midi, oui, oui, il y avait du soleil ! Mais sur cette plage familiale, je ne voyais autour de moi que poussettes, bébés potelés, petites filles en bikini assorti à celui de leur maman, petits garçons construisant des châteaux de sable avec leur père. Je me sentais en manque, comme amputée. Tout à coup, les larmes me montèrent aux yeux, je fus envahie par une bouffée d'angoisse.

Jean-Luc parut enfin remarquer mon mal-être.

"Mais qu'est-ce qui t'arrive ? On n'est pas bien ici ? Qu'est-ce qu'il y a ma chérie, dis-moi, j'ai fait quelque chose qui t'a peinée ?". Il ne comprenait rien décidément. J'hésitais à lui avouer la raison de mes larmes – il va me prendre pour une idiote, - il va me faire la tête – il va être déçu – autant de raisons de tenter de prendre sur moi.

A une heure qui m'a semblé décente, j'ai appelé la belle-famille. "C'est vous ? (pas de chance, c'est Marguerite qui a répondu). Tout va bien, ils sont dans le jardin avec Maurice. Jean-Luc s'est donné du mal pour vous faire plaisir, alors, tâchez d'en profiter, et essayez un peu de couper le cordon ! Je leur dirai que vous avez appelé". Et voilà, encore une fois, je ne pouvais pas leur parler. J'ai ravalé ma colère et décidé de faire bonne figure. J'ai réussi pour la soirée et me suis comportée en apparence comme l'amoureuse que Jean-Luc voulait retrouver. Mais j'ai avalé un somnifère en me couchant pour être certaine de sombrer.

Le lendemain, le temps s'était gâté. Nous sommes quand même allés marcher sur la Côte Sauvage et déguster un plateau de fruits de mer au Croisic. J'ai réussi à attendre 16 heures pour téléphoner. "Ah ben, pas de chance, ma pauvre ! – c'était Maurice – ils sont partis avec Marguerite voir les chatons qui viennent de naître chez la voisine." Je l'ai à peine salué et j'ai décidé que ça ne pouvait plus durer, on me cachait quelque chose, ou bien ils étaient malades, ou bien ils pleuraient trop pour qu'on me les passe… Alors, j'ai respiré un grand coup :

 

"Jean-Luc, il faut qu'on rentre, les petits me manquent trop, et puis tu vois, le mauvais tems s'installe." J'avais trouvé ce piètre argument. Il n'a pas répondu, a serré les mâchoires et nous a ramenés à l'hôtel à toute allure. "Préparez-nous la note pour demain matin, nous partirons à la première heure".

Nous avons dîné au restaurant de l'hôtel sans nous dire un mot. A 8 heures, le lendemain, les sacs étaient prêts, le petit déjeuner avalé, l'addition payée. Pas un mot non plus n'a été échangé pendant le trajet du retour, mais ça m'était égal, j'allais enfin sortir mes deux chéris de cet enfer où je les avais abandonnés.

Je sonne à la grille. Il est 11 heures. Marguerite apparaît, suivie d'Alexis et de Chloé, de la farine sur les mains et dans les cheveux, un torchon noué autour de la taille.

"Maman ! on est en train de préparer un gâteau, et puis cet après-midi, on va aller voir le petit veau à la ferme ! tu vas bien ? Allez, on te laisse parce qu'on a du travail. Tu viens, Mamie ?"

 

Je n'oublierai jamais la lueur de triomphe dans l'œil de Marguerite.

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