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Aujourd'hui, j'ai choisi de reprendre mon matériel pour faire l'esquisse du tableau de Poussin intitulé "Paysage avec Orion Aveugle Cherchant le Soleil". Pourquoi ce tableau ? Je ne l'ai pas su de suite, mais au fur et à mesure de l'avancement de mes travaux.

Tranquillement, je prépare mes couleurs et mes pinceaux, ma toile et mon chevalet.

J'observe une dernière fois l'illustration et je me lance.

Je m'attaque d'abord au ciel. Un ciel bleu azur avec tout de même des nuages. Quelques uns sont blancs, et là, au dernier plan, j'en trace un, immense et menaçant, gris. Comme si je voulais gâcher ce tableau, traduire la haine et la douleur qui se trouve au fond de moi. Mon coeur saigne d'un rouge vif en ces instants.

Ensuite, je peins les collines. Ces hauteurs d'un vert tendre mais très floues quand je prends du recul face à ma toile. Ce recul que je ne prends pas toujours le temps d'atteindre avant de faire ou de dire quelque chose. Flous comme tout ces souvenirs, aussi, qui se brouillent dans ma tête et m'empêchent d'y voir plus clair : d'apercevoir une lueur sur l'avenir.

Puis je dessine patiemment ce qui se trouvera au second plan de mon illustration. De part et d'autre de ma toile, de grands et magnifiques châtaigniers que même les ans ne semblent pas abîmés. Que j'aimerais être à l'image de ces arbres, forte et inébranlable, ne pas me laisser dévorer à petit feu par tous ces gens qui me fuient et me bousculent.

Après tout, ces arbres aussi ont une différence : ils sont sombres, presque noirs. Que cachent-ils derrière leur feuillage et leur tronc noueux qu'on ne voit pas distinctement ? Aujourd'hui, ce noeud, je ne le vois pas, mais je le sens, là, tout au fond de moi. Je me sens si impuissante face à lui, ne sachant comment le défaire.

Entre ces grands arbres, une touche d'optimisme et de gaîté : un chemin. Vous vous demanderez peut-être ce qu'il y a d'optimiste dans le tracé d'une simple allée ocre et terne : pour moi ce chemin constitue la route vers le bout du ce tunnel complètement noir.

Mais que signifierait ce paysage si je n'y ajoutais pas de personnages ?

Tout d'abord je me décide à dessiner le personnage qui est perché là-haut sur son nuage très gris presque noir. Je regarde mon illustration modèle, mais je n'arrive pas à distinguer s'il s'agit d'un homme ou d'une femme. Je choisis de faire le croquis d'une femme. Une femme à la peau très blanche. On dirait qu'elle est souffrante, mais non bien au contraire. Si elle est là-haut perchée sur son nuage, c'est pour montrer qu'elle est toute puissante parce que bien portante. Mais elle a tort, car quand l'immense Bête Noire à décidé de s'attaquer à quelqu'un, ce n'est pas à cause de sa couleur de peau : black, blanc, beurre, où est la différence ? De même pour la couleur des vêtements : qu'ils soient jaunes, rouges ou orange où est la différence ? Moi je n'en vois pas, et pourtant je ne me sens pas à ma place sur cette terre. Quoi qu'il en soit, la dame aux nuages, elle aussi, est vulnérable. D'ailleurs, elle ne porte pas d'auréole aux étoile jaunes et scintillantes. En dessinant ce personnage, je me suis sentie vite mal à l'aise, car il n'a pour moi rien d'humain. C'est tout simplement un monstre, un monstre au masque très sombre, à la face hideuse. Il n'y a rien dans celui-ci qui puisse permettre de dire qu'il porte le bien dans son coeur. C'est à se demander s'il en a un, on dirait plutôt qu'il est fait d'une roche grise à la place de ce coeur, un morceau de charbon très noir.

Je me décide donc à peindre l'homme qui se trouve sur le chemin, le plus grand, que j'appellerai le géant. Ce géant sera le personnage principal de mon tableau et pourtant lui non plus ne porte rien de bien dans son coeur. Il est costaud, avec la peau mate, il a pour unique apparat une sorte de jupe grise, déchirée, vieillie par le temps et les mites. Il a des cheveux bruns très sales. Je n'ose même pas parler de ces ongles de mains et de pieds qui sont également sales, noirs, presque pourris. Ses pieds sont très abîmés à force de courir à même le sol. Il court sans s'arrêter sur le chemin, écrasant tout sur son passage.

Désormais je dois faire vite, ma toile, devant être absolument terminée ce soir. Je peins donc l'homme sur les épaules du géant. Cet homme, ce pourrait être moi, essayant de lutter. Je m'agrippe aux cheveux de l'ogre, qui court et me fait vaciller de droite et de gauche. Mais je résiste, je ne veux surtout pas le laisser prendre le dessus. Je veux pouvoir voir un jour cette lueur d'espoir qui se trouve au bout du tunnel. Je ne la vois pas encore, mais je sais qu'un jour j'y arriverai mais pour cela je dois me battre. Je le sais. Je suis habillée d'une simple jupe jaunie et déchirée par le cahot que m'inflige l'ogre. Il ne le sait pas, mais si je suis montée sur ses épaules, c'est tout simplement parce que je sais qu'il se dirige inexorablement vers la lumière du jour. D'ailleurs, je la vois de là où je suis, par delà les nuages le ciel étant plus clair, on peut percevoir quelques rayons de soleil.

L'ogre continue sa course, il heurte une souche pourrie, noire. On dirait un cratère. De là-haut, j'ai l'impression qu'il va tomber mais non, il continue son chemin. Ses pas font un bruit horrible, il écrase tout sur son passage. Au loin je vois quelques hommes, je ne les distingue pas suffisamment pour pouvoir les dessiner, mais tout ce que je sais, c'est qu'ils courent eux aussi vers la lumière. Ils ont peurs. Ils ne savent pas qu'au bout de cette course infernale, il y a liberté et la vie.

A présent mon tableau est achevé. Poussin ne l'avait certainement pas vu ainsi, mais pour moi, ce tableau et ce long moment passé à en faire la copie, a été une délivrance, car les émotions et les douleurs ne sont jamais autant sorties de mon coeur que depuis que j'ai peins ce tableau.

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