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Lundi matin.

Ils ne m’ont même pas claquée aujourd’hui ! Sans doute les restes de leurs ébats d’hier soir, ils avaient l’air de tellement s’aimer ! Et je n’ai senti aucune nervosité de leur part après l’amour. D’habitude, ils m’ouvrent et me referment sans précaution, elle va cloper dans un coin, lui va chercher à boire, ou à manger, c’est un ballet incessant pendant une demi heure, puis tout rentre dans l’ordre. Le silence s’établit.

Lundi soir.

Monsieur est en colère, il a eu une dure journée. Un client lui a fait faux bond, il  s’est déplacé pour rien. Madame attend, alanguie sur son lit, en déshabillé soyeux. Mais en vain. Ce ne sera pas pour ce soir, je pense ! Lui, nerveux, cherche son costume pour demain. Bien sûr, la chemise assortie n’est pas repassée, il s’ensuit un désordre indescriptible et une avalanche de reproches mutuels. Ils me torturent incessamment, je ne suis pas loin de sortir de mes gongs ! Et ne me referment pas, en se couchant, comme ils le font d'ordinaire ! C’est mauvais signe.

Mardi matin.

Madame a passé une mauvaise nuit, et lu jusqu’à une heure avancée, ce qui m’a empêché de me reposer tranquillement. Ce matin, en sortant de la chambre,  il a fait un effort pour ne pas la réveiller, mais j’ai senti en lui encore beaucoup d’animosité. Il a pris soin de me refermer avec précaution, mais ne lui a pas jeté le moindre regard en quittant la pièce. C’est un rancunier !

Mardi soir.

La tension monte, j’ai encore été claquée. Heureusement, je suis forte et résistante, je me plie à leurs caprices, mais un jour, je le sens, je vais craquer ! C’étaient des querelles insignifiantes sur leur vie, leurs sorties, les repas, ses horaires, ses retards et les sempiternels reproches à propos d'une grande blonde qu’elle a vue plusieurs fois avec lui. Monsieur s’est fâché en lui rétorquant qu’elle se faisait son cinéma, comme d’habitude, et que la grande blonde en question n’était tout de même pas Marilyn Monroe ! Il a couru dans la chambre et m’a encore violentée plusieurs fois. Pour passer ses nerfs sur quelqu’un. Ensuite, tout s’est calmé, on ne les a plus entendus.

Mercredi matin.

Ah ! Les réconciliations sur l’oreiller ! Il en est de difficilement racontables. Celle d’hier soir en fait partie, c’est pourquoi je resterai dans un mutisme de porte grinçante mais bien éduquée ! Charge à vous d’imaginer, si vous le souhaitez !

Jeudi.

Madame a entrepris les grands nettoyages. Elle a tout épousseté dans la chambre, rien n’a été épargné, le matelas et la couette sont allés faire un tour dehors, quant à moi, elle m’a caressée et recaressée longuement, dans tous les sens, et chatouillée de son plumeau. J’étais aux anges. Un peu de douceur fait aussi du bien, parfois. Elle a même dit, le soir, à son mari : "Chéri, tu devrais repeindre la porte. Je la trouve défraîchie et écaillée." Youpi, je vais  bientôt faire peau neuve, et un petit ravalement à mon âge, ça ne fera pas de mal ! J’ai tout fait pour les amadouer, j’ai même tenté d’effacer le léger grincement qui se produit quand on la referme doucement, ce qu' ils ne font que très rarement, mais là, j’ai échoué, dommage !

Vendredi.

Les ennuis recommencent. Madame s’est précipitée rageusement sur ma personne.  Puis s’est jetée sur le lit en pleurant. Les sanglots venaient par vagues, c’était impressionnant. Ensuite elle a bondi sur moi, m’a fermée à double tour, et a refusé l’accès à son diable de mari qui gesticulait et tambourinait derrière. J’ai cru que ma dernière heure était arrivée ! Il s’acharnait comme un malade, mais je suis résistante, j’ai tenu bon, je ne me suis pas laissé démonter ! Au bout d’un moment, il a lâché prise, et j’ai serré les dents tant mes douleurs étaient vives ! J’avais des bleus partout ! Madame n’a pas quitté sa chambre jusqu’au lendemain et Monsieur a dû déplier le canapé de la salle à manger. Quel bonheur de vivre à deux !

Samedi.

Monsieur est en congé. Ils vont pouvoir se disputer à loisir. Mais non, tout a l’air paisible dans la maison. On entend une mouche voler. Il a pris son journal, elle vient d’appliquer son masque de beauté hebdomadaire et en attend les effets, sans bouger un seul muscle du visage. Je me demande comment elle fait. Parfois, elle utilise aussi  des rondelles de concombre. Quel gâchis ! Ils paraissent détendus et sereins, je les aperçois au loin par le petit couloir. Tant mieux, car ces violences m’ont épuisée ! Et puis, j’ai peur qu’il refuse de me repeindre !

Samedi soir.

Le couple part en soirée. Chacun a revêtu sa plus belle tenue. Elle a même sorti de l'armoire le petit fourreau noir qui lui va si bien et qu’elle ne met que pour les grandes occasions. Il est venu dans la chambre pour la chercher. Et l’a embrassée longuement. Un vrai baiser d’amoureux passionné. J’en étais toute retournée, enfin, c’est une image ! Je me suis dit : tu as quand même de la chance d’avoir trouvé de tels locataires. A un moment, ils se sont  carrément appuyés sur moi pour une étreinte encore plus intime, j’en ai rougi un peu, et puis, je me suis habituée. Si je peux leur être utile en quoi que ce quoi, je ne refuse jamais un service ! Après ça, ils sont allés se rajuster. Le petit fourreau avait un peu souffert, il était chiffonné, et la cravate était de travers.

Dimanche.

Ils on fait la grasse matinée. J’ai pu observer à loisir leurs jolis corps nus et alanguis dans une béatitude proche de l’extase. J’étais contente et fière pour eux. Il lui a même apporté le petit déjeuner au lit ! Ce qu'il n'avait pas fait depuis longtemps. Vraiment, c’est comme ça que je les préfère. Mais que nous réserve la semaine à venir ? Je ne veux pas trop y penser. Et puis, c’est bien ainsi, c’est moins monotone ! On peut dire que ma vie de porte est mouvementée et diversifiée. Et je m’adapte. Mais j’ai peur qu’un jour, mes nerfs ne craquent, je ne suis plus toute jeune, quand même, et je ne veux pas terminer ma vie en porte de placard, ou pire, au grenier ! Chut, les voilà qui arrivent, je me tais, ils pourraient mal réagir, en sachant que je trahis leurs secrets. A bientôt. Et n’allez pas répéter ce que je vous ai dit : je ne veux pas avoir d’ennuis avec eux. Je crains de fâcheuses représailles qui me mettraient en danger ! Imaginez qu’ils me démontent et changent de porte. Qu’est-ce que je deviendrais, moi ? Et je n’aurais plus rien à raconter ! Alors !

Signé : la porte.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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