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Une fois par semaine, venant de la campagne où la  pauvreté était générale, la vie dure, le loisir rare, les fellahs  se rendaient au bourg, le jour du souk hebdomadaire, pour échanger leurs maigres produits contre d'autres plus nécessaires à  leur survie. Ils venaient en nombre. Ils se hâtaient, après avoir rentré leurs bêtes et déposé leurs sacs et leurs couffins au fondouk, établissement commun aux hommes et  animaux où l'étable et l'écurie jouxtaient le dortoir. Ils se dirigeaient par petits groupes, à quelques enjambées de là, vers le café maure, seul lieu de rencontre, de retrouvailles, de discussion et d'échange.

Le café maure? Un local nu, dont les murs avaient été blanchis  depuis bien longtemps. Au fond étaient installées sur un banc, haut et large à la fois, des kanounes, des braseros en terre cuite où brûlait du charbon de bois  et sur lesquels le cafetier, un petit homme sec et étroit, à la tête massive, au buste étriqué, posait de grandes cafetières et des bouilloires métalliques pour préparer le café et le thé à la menthe  qu'il servirait à une clientèle nombreuse.

Les fellahs arrivaient, s'y engouffraient; les uns s'asseyaient en s'adossant aux murs, sur des nattes en alpha, striées de lignes vertes et rouges, d'autres, faute de places, demeuraient à croupetons. Tous formaient un cercle autour d'un vieux bonhomme aux cheveux blancs, à la barbe de plusieurs jours, blanche aussi. C'était le barde. Le vieillard produisait un étonnant  effet de permanence. Il était à la fois exégète, parolier,  conteur,  récitant. Il parlait en se penchant en avant, sur un ton à la fois sérieux et ferme.

L'auditoire, composé en majorité d'illettrés, attentif, silencieux, buvait les paroles du  conteur qui, pour mettre en relief ses dires, les illustrait de mimiques, d'inflexions de voix ou de versets de Coran psalmodiés: il parlait de l'exploit des brigands-maquisards, de l'épopée des premiers prêcheurs de l'Islam, il narrait la vie des saints, déclamait des qasida, expliquait et commentait les évènements qu'avait connus jadis la contrée.. Tous étaient suspendus à ses lèvres. Tous l'écoutaient religieusement. Silence, n'était rompu, que par le sifflement des cafetières, sur le feu, ou le tintement des tasses qu'on lavait.

Parfois on l'interrompait pour l'interroger sur tel ou tel aspect de la religion. Bibliothèque vivante  dans cette civilisation orale, il prenait son temps, réfléchissait. Il avait le parler  affectueux et paisible quand il répondait à leurs interrogations... Mais le discours prenait fin, les clients quittaient les lieux pour les préparatifs du lendemain, laissant seulement l'arôme du café et de la menthe embaumer l air.

Le café maure, dans cette civilisation orale, ne préfigure-t-il pas déjà le café littéraire d'aujourd'hui?

 

 

Tag(s) : #Textes des auteurs
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