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Lorsque, ce soir là, Marcel se pointa au bar des Têtes Chercheuses, face aux bâtiments du CNRS, nous comprîmes immédiatement qu’il n’allait pas bien.

Il s’affala sur le zinc, sans un regard pour le présentoir à bouteilles et sans même prononcer les paroles magiques : « Patron, un p’tit jaune ».

 

Entre Marcel et Ginette, nous le savions déjà, il y avait de l’eau dans le gaz.

Ginette rêvait encore du prince charmant. Marcel, en était l’image négative. Il était plutôt le prince des alcoolos.

Ancien responsable du service recherche dans la mécanique des fluides, il avait passé plus de temps à chercher ses clefs qu’à révolutionner le monde scientifique. Quant au fluide, Marcel l’avait conceptualisé à sa façon, comme un corps épousant parfaitement la forme de son contenant. Un contenant qu’on pouvait remplir tant que le bras pouvait encore se lever.

 

Oh non ! Ne pensez surtout pas que je ris de lui, car dans notre cercle très fermé, qui s’ouvrait selon les horaires du patron, nous étions loin d’être les chevaliers qui poudroient, tant attendus par sœur Anne qui n’aurait pas manqué de nous tourner le dos.

 

-        J’en ai assez de cette vie stupide... Ginette vient de se tirer avec le patron du bar de la mairie et quand je vois vos gueules, vraiment, l’avenir me semble encore moins prometteur, se lamentait Marcel.

 

L'inquiétude me dévorait, non pas tant par la remontrance désobligeante qu’il avait proférée à notre égard -remontrance qui par ailleurs n’était peut-être pas totalement dénuée de toutes significations fondamentales- mais surtout par le fait qu’il semblait presque à jeun.

Il était quand même 19 h et une telle perspective nous laissait sans voix.

 

-        Quitter cette planète de tarés, bon dieu, ah! Si je pouvais quitter cette planète, éructait Marcel, affalé sur le zinc, la tête entre ses mains.

 

-        Il te faudrait une soucoupe volante mon vieux Marcel, dit le patron pour détendre l’atmosphère que nous avions déjà bien enfumée.

 

-        C’est une bonne idée ça ! Si nous essayions d’en construire une pour partir ensemble, proposa Paul.

 

-        Est-ce que tu imagines la puissance du champ magnétique dont il nous faudra disposer pour échapper à la gravitation terrestre, éructa Gégé, sans quitter du regard son p’tit blanc sec…Et la rotation de la Terre ! As-tu pensé à la rotation de la Terre ? Il faudrait créer une force contraire et opposée à la force centrifuge, de manière à rendre stable la rotation de l’air de l’intrados vers l’extrados, durant le temps de la traversée de l’atmosphère. Cela ne sera hélas pas, sans provoquer un flux perpendiculaire qui s’opposerait obligatoirement au sens du courant induit. Lequel, c’est certain, affaiblira le flux magnétique principal…

 

-        Ce n’est pas certain, reprit Maurice tout en commandant une autre tournée. Allons nous asseoir, et réfléchissons. Je suis sûr que nous allons trouver une solution.

 

Je voyais déjà la tête de Ginette, regardant vers le ciel notre vaisseau spatial s’éloigner en sifflant, et le pauvre Marcel au hublot agitant son mouchoir. Une larme coula sur ma joue.

 

Le temps passait, les verres s’amoncelaient sur la table et les idées fusaient. Nous avions déjà la forme et le mode de propulsion de l’engin. C’était peu, bien sûr. Il restait encore beaucoup à faire, mais après tout, ce n’était encore qu’un projet.

 

Marcel resté devant le comptoir, pleurait avec le patron qui remplissait les verres.

-        Toutes les mêmes, les gonzesses… Si jamais elle revient, Ginette, je lui fous une dérouillée et je la renvoie chez sa mère.

 

Le patron, qui quelques années auparavant avait essayé vainement de retenir plusieurs fois la sienne, approuva ce mâle courage.

 

-        Tiens, voilà Ginette qui rentre avec le patron du Café de la mairie, s’esclaffa Gégé qui soulevait le rideau avec grande difficulté. Quand on parle du loup, on en voit la queue.

 

-        Ne parle jamais comme ça de ma Ginette, sinon j’te casse la gueule, balbutia Marcel en levant un doigt menaçant qui faillit le faire chuter en avant.

 

Dans un demi-tour digne d’un ballet de Tchaïkovski, il atteignit la clenche de la porte qui céda aussitôt, et avec violence, il s’affala de tout son long sur le trottoir.

 

-        Bon, les anciens, je ne vous mets pas à la porte, mais il se fait tard et votre ami est bien fatigué, dit le patron. J’espère qu’il en est encore un de vous qui marche assez droit pour le ramener chez lui.

 

Nous assurant que nos verres étaient bien vides, nous nous levâmes avec difficulté.

-        Tu verras, dis-je au patron, en me tenant à la chaise, un jour ça marchera, et nous nous envolerons de la terre pour un monde meilleur.

 

-        Oh ! Ça j’en suis sûr, répliqua-t-il. C’est une question de foie !

 

 

On aurait pu finir notre vaisseau ce soir, si Marcel ne nous avait pas  gavés avec sa Ginette... Et puis... Il a raison Gégé... Comment créer un champ magnétique assez puissant pour échapper à l’attraction terrestre. Il faut qu’on réfléchisse encore…

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