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Allongée sur le dos à même le sol.

J'ai peine à ouvrir les yeux, à bouger mon corps. Un peu comme ci j'émergeais d'une ivresse moi qui ne bois jamais d'alcool.

 

Peu à peu le flottement s'estompe et ma vue se précise.

 

Quatre murs de pierres et de briques, usés, déformés, creusés. Une porte en métal, rouillée, peut-être blindée, sans poignée. Un soupirail où filtre la lumière du jour. Une odeur de poussière, d'humidité, une cave!

 

Péniblement, je me soulève à demi, la tête me tourne, la nausée remonte de mes entrailles.

Je préfère reposer doucement mon corps sur le sol, froid, dure et---

 

Quand je reprends connaissance, la porte s'ouvre brusquement dans un grincement inquiétant.

Une forme, haute, large, sombre.

 

- " Réveille toi! "

 

Une voix d'homme, rauque, autoritaire.

Il m'attrape sous les bras et me tire contre un mur en position assise. Il s'accroupit devant moi. Deux larges carreaux foncés sur un visage barbu.

Ma tête tombe en avant. Il me saisit fermement le menton. Je sens sa large main, ses gros doigts, sa transpiration impatiente, son haleine fétide.

 

- " Réveille toi! "

 

Je plisse les paupières dans un ultime effort---inutile. Tout n'est que lourdeur dans tout mon être paralysé.

Il me lâche, se relève.

 

- " Je reviendrais demain! Demain, tu seras réveillé et tu seras mienne. "

 

Il tourne les talons, la porte se referme emportant le jet de lumière, fragile liberté---d'ailleurs.

 

Je serre les dents, une boule d'angoisse dans la gorge, mes yeux mouillés se troublent, des sanglots saccadent ma respiration.

Recroquevillée, je me blottis en moi même. Je m'enfuis dans le silence de mes larmes et du dernier souvenir---

 

Le ciel uniformément bleu, un soleil éclatant, le gazouillis des oiseaux, l'enivrant parfum des glycines, dans le grand parc où j'aime tant me promener.

Un bac à sable, des balançoires, un toboggan, des enfants riants entre eux sous la surveillance des parents.

Des couples main dans la main ou bras autour de la taille.

Des chiens tenus en laisse et sur l'herbe verte un paon faisant majestueusement la roue.

 

Je me souviens du fauteuil roulant, de l'homme semblant trapu assit dedans. Des lunettes de soleil, une voix plaintive me racontant que son infirmière l'avait abandonné là prétextant un appel urgent.

Il me demanda poliment, presque timidement, de le raccompagner chez lui à quelques pas du jardin.

 

Ma générosité dépassa ma raison et j'acceptais la supplication d'un vieil homme semblant inoffensif.

 

Il suffisait de sortir du parc, longer la rue, cette même rue où je vivais avec mes parents depuis toujours.

Je venais juste de fêter mes dix huit ans. Une majorité toute neuve me rendant libre et responsable d'offrir mes services.

Et puis, l'endroit familier et passager de ma rue me rassurait.

 

Arrivé devant la maison du monsieur, il ne s'était pas présenté, je ne connaissais pas son nom. Il me tendit une clé pour que je lui ouvre la porte et avant que je n'ai le temps de me retourner, il me poussa brutalement dans le vestibule.

La marche me fit trébucher, je me retrouvais plaquée au sol.

 

Tout se précipita!

 

Une poigne de main m'attrapa par les cheveux et me colla un chiffon humide sur le nez. Une odeur infecte, puissante, insoutenable--- d'éther, m'engourdit.

 

Et puis , plus rien.

 

Cette cave obscure, la terreur au ventre.

Ne pas paniquer! Réfléchir calmement au retour de cet ignoble monstre.

 

 " Mon Dieu! comment sortir de là? "

 

Établir un plan de défense. J'ai peur, je frisonne tellement j'ai peur. J'ai l'impression de manquer d'air. Je dois respirer lentement, profondément.

 

" Calme---calme moi. "

 

Je porte une main tremblante sur ma bouche ou mes sanglots se bousculent.

 

" Mon Dieu! je t'en supplie, protège moi! J'ai si peur--- "

 

Il ne faut pas que je me laisse aller, je dois me sortir de là!

Je me lève et m'approche du soupirail. Celui ci donne sur l'extérieur, au ras du sol, en bas du mur d'un trottoir.

 

C'est horrible de penser que ce mur me sépare de la vie, de ma famille, de cette rue " ma " rue!

 

De nouveau les souvenirs m'assaillent.

Je revois ma douce grand mère me promener en landau et vanter aux commerçants le bébé tellement gentil que je suis.

Et la bataille de boules de neige sur le trottoir, moi fillette avec mon père tellement complices.

Où en vélo, riant entre copines tellement insouciantes.

Encore mains dans la main avec Mathieu, mon petit fleurt tellement innocent.

Et assise à la place du chauffeur écoutant attentivement les conseils de ma mère, pour ma première conduite accompagnée, tellement fière de la confiance maternelle.

 

" Maman--"

 

A nouveau les larmes inondent mon visage tourmenté par la peur.

 

Le soupirail est très étroit, six barreaux trop peu espacé pour y passer la main et un carreau sale.

Tellement frustrant cette liberté à porté de voix, la voix que je n'ai pas, que je n'ai jamais eu---je suis muette.

 

Je me retourne, scrute le vide. Je longe les quatre murs difformes. Ce vide affole mes pensées d'évasion, de défense.

Réfléchir! ma tête va exploser tellement je réfléchis.

 

Il y a certainement quelque chose pour me protéger!

 

Droite, plantée au milieu de la pièce, le visage voilé de frayeur, mes yeux fouillent chaque recoin, du haut en bas, de bas en haut, en large. Le sol de terre battu---

 

Oui! j'ai trouvé!

Je me précipite vers la porte où le mur semble le plus abîmé. Je creuse avec mes doigts le ciment effrité pour extraire une brique.

Éraflures, entailles, mes ongles saignent. La brique ne cède pas.

Je tape de mes poings de rage. De désespoir je me laisse glisser au sol. Le sol en terre battu, lentement ma main glisse, mes doigts douloureux cherchent, creusent---

 

Le temps s'écoule.

 

Un bruit de clé, un grincement, la porte s'ouvre.

Je suis repliée sur moi même tel un foetus.

 

L'ombre humaine s'approche et me bouscule de son pied.

 

- " Allez gamine! il est grand temps! "

 

Il s'agenouille. Caresse mon corps, allonge mes jambes, descend mon pantalon.

 

Mon coeur s'emballe et ses palpitations résonnent dans toute ma tête.

 

Il me tourne le dos pour retirer mes baskets.

 

" Fraction de seconde, "

je me redresse en assise, saisis la pierre que j'ai dégagé du sol et tape, tape sur la tête de l'individu qui se retourne. Le sang coule sur son visage déconcerté.

D'un bond je me redresse et tape, tape encore et encore en pleurant.

La peur, la rage, la folie dirige mon geste qui se répète interminablement.

 

Le corps n'est plus qu'une forme inerte. Pourtant, je brandis encore la pierre ensanglantée, prête à--- Au sol, pas un mouvement, une tête méconnaissable, à la ressemblance de cet être sans vergogne, monstrueuse!

 

Étrangement je n'ai plus peur. Lentement je recule, hypnotisé par ce terrifiant spectacle.

Je trébuche, me retient à la porte, la porte ouverte!

 

Des larmes brûlent mes yeux comme la lumière du jour qui m'accueille, enfin dans la rue!

 

Je reste immobile, hébétée au milieu de la chaussé sous le regard stupéfié des gens qui s'attroupent.

 

- " T'as vu maman, elle a du sang sur les mains!

 

Crie un enfant en se cachant dans la jupe de sa mère.

 

- C'est la petite Charlène! Mon Dieu, qu'est il arrivé?!

 

Je m'écroule à genoux, en sanglots étouffés, presque silencieux. Ma vie silencieusement " muette. "

 

- N'est pas peur mon enfant---

 

Une femme s'est approchée et m'entoure de ses bras de tendresse.

 

- Vite! Appelez une ambulance! ses parents! la police! "

 

Le type sera arrêté, coma cérébrale, tout de même condamné. Il était récidiviste libéré depuis peu.

 

Moi, je reste enfermée chez moi, en moi, derrière ma peur de l'extérieur, du danger de la rue!

Je surveille la rue à travers les carreaux de ma chambre, fermé à clé.

 

Je regarde la rue de mon innocence perdue, murée dans ma peur---muette!

 

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