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Sophia enfila de grandes bottes qui montaient jusqu'au milieu des cuisses, et je la vis se redresser de toute sa hauteur. Ainsi debout, elle arborait une croupe généreuse et cambrée, limite provocante... Des éclats de lance brillaient dans ses yeux en amande d'un vert laiteux qui contrastait avec sa robe noire et moulante, juste éclairée par le médaillon blanc quelle portait toujours autour du cou.

Elle était magnifique. Grandiose. Jamais je ne l’avais vue si déterminée.

Je la vis s'élancer d'un bon pas dans la petite allée de peupliers qui mène à notre pâté de maisons. Le bruit métallique des feuilles faisait penser aux heurts lointains d'épées entrechoquées ; quelque chose, dans l'air, suintait l'inquiétude...

Elle fut bientôt rejointe par quelques amis du quartier qui surgirent de leurs maisons respectives, formant bientôt une petite troupe à l'allure presque guerrière....

Que mijotaient-ils ?

Soudain, au signal de Sophia, je les vis se tapir tous ensemble derrière les buissons !

Au beau milieu de la route s'ébattait un énergumène à la silhouette grotesque, qui semblait s'en donner à cœur joie : faisant des bons étranges, glissant comiquement sur d'invisibles savonnettes… un vrai clown !

Mais ce personnage ridicule fut aussitôt encerclé par le groupe entier, et à ma grande surprise, j'entendis distinctement Sophia prononcer ces paroles d'une voix forte :

— Scélérat ! Veux-tu cesser immédiatement ces agissements indignes et laisser tranquille ce pauvre innocent sans défense ! Je te connais bien, toi ! Pas vrai, les amis ?

— OUI ! Aboya la troupe, visiblement très remontée.

— Tu habites bien la maison du Pharmacien, au coin de la rue ? Renchérit Sophia. Tu as donc le couvert tous les jours, n'est-ce pas ? Et bien servi, si je ne m'abuse ! A en juger par ton apparence enrobée, tu ne meurs pas de faim, il me semble ? Pourquoi, alors, tortures-tu les autres pour le plaisir ? Laisse-le aller ou il t'en coûtera cher !

J'aperçus alors un magnifique doryphore noir et or, qui détala sans demander son reste !

J'allais d'étonnement en étonnement...

Pris en flagrant délit, voyant sa proie lui échapper, l’agresseur refoula la colère qui le faisait intimement bouillir. Le frustre individu s'excusa enfin, d'un ton mielleux, et tourna mollement les talons, qu'il avait gras et moelleux, comme tout le reste d'ailleurs, ce qui lui donnait une dégaine particulièrement disgracieuse...

Visiblement satisfaite, Sophia cambra davantage ses reins, souples et agiles, et continua sa route, suivie de ses fidèles acolytes.

Un peu plus loin, ils tombèrent sur un marmot qui braillait désespérément, juché en haut d'un arbre.

— Que fais-tu là-haut ? Lui demanda Sophia, prenant, d'office, un air sévère.

— Au secours, au secours ! Ah ! Bonjour Madame ! Ça fait des heures que ce méchant arbre refuse de me laisser descendre et me retient prisonnier entre ses branches !

— Réponds d'abord à ma question ! Pourquoi diable es-tu monté ?

— Mais, pour jouer ! Il y avait un petit oiseau, et…

— J'en étais sûre !! Nous ne t'aiderons pas tant que tu ne nous auras pas fait une promesse !

— Oui, oui ! Tout ce que vous voudrez !

— Premièrement, où habites-tu ? Je ne t'ai encore jamais vu dans le quartier. Tu as l'air bien jeunot…

— Dans la grande maison, là-bas, en face du Docteur !

— Ah ! Je vois ! Chez le maçon ? Pas des malheureux non plus… Donc, tu es bien nourri je suppose ?

— Oh, oui, Madame !

— Bon alors, pauvre ignorant ! Saches qu'une nouvelle loi vient d'être votée, et que tout individu surpris en train de s'attaquer à un plus faible — ce que tu appelles : "jouer" — sera impitoyablement puni ! C'est bien compris ?

— Très bien, Madame ! Je peux descendre maintenant, s'il vous plait ? J'ai des fourmis dans les jambes !

Sophia s'enquit de trouver de quoi secourir cet écervelé. Après avoir fouillé quelques poubelles, elle trouva un vieux foulard qui ferait parfaitement l'affaire.

Le gamin s'y laissa choir en toute confiance, et s'enfuit en courant après avoir promis tout ce qu'on exigeait de lui.

....

Les yeux plongés dans ceux de Sophia, je vis cette scène s'estomper doucement, comme la page d'un livre que l'on referme...

Elle ronronnait doucement dans mes bras, tandis que je lissais voluptueusement son pelage noir et brillant, fin comme de la soie.

La veille, je l'avais grondée très fort : j'avais trouvé dans le jardin une ribambelle de souris, oiseaux et lézards… à moitié morts.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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