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La rue avançait dans la nuit, elle était morne, fade et triste. Les murs des maisons qui ornaient le chemin de pavés étaient sombres et gris. Ils nous emmitouflaient de leur froideur et nous glaçaient le sang. Ghislain se mit à serrer fort mes doigts. Je sentais sa petite main à travers le gant de laine. Il était effrayé, mais il s'obligeait à ne pas le laisser paraître. A 5 ans, il tentait déjà par tous les moyens d'accrocher la fierté de son père.

J'avançai doucement, sous mes chaussures la route s'était garni d'une fine couche de glace de ci de là, irrégulière, parfois épaisse, parfois absente. Mon pas était pourtant sûr mais rien ne semblait rassurer l'enfant. Nous arrivâmes enfin sur la place, il était certainement plus de 23h. Le noir dominait tout autour de nous. Dans le ciel de lourds nuages envahissaient l'espace, la lune n'existait plus, sa clarté avalé par de vastes cotons gris nous abandonnait dans une froide obscurité.

Sur la place des ombres circulaient puis s'arrêtaient au centre, elles avançaient toutes lentement dans de faibles murmures qui masquaient à peine le silence. Ghislain rassembla son courage, la peur lui tenaillait le cœur et bien qu'il remettait sa confiance entière à son père, il n'était en rien rassuré.
Il se devait d'être  vaillant, il avait promis de l'être devant sa maman quelques heures plutôt.

Les ombres continuaient de s'accumuler au centre de la place. En avançant quelques mètres de plus, on commençait à en distinguer une bien plus grande que les autres. Celle-ci était impressionnante, large à sa base et fine en son sommet. Ghislain avala sa salive, s'arrêta net quelques secondes tirant sur la main de son père. Je m'accroupis un instant pour faire face à mon fils, je ne désirais pour rien au monde que sa première fois fusse pour lui une aventure effrayante. Apeuré, il ne pourrait en profiter et moi non plus d'ailleurs.
Sous son bonnet rouge devenue gris, je percevais à peine ses yeux claires. Mais je sentais son regard, sa main me serrait comme au tout début de notre périple, il n'avait pas peur ou alors il le masquait bien. « je suis là ! » lui dis-je pour être sûr de la rassurer. « je sais » me répondit-il comme si il avait lu dans mes pensées.
Les ombres formaient un cercle autour de la plus grande. Les lumières de ma montre se rassemblaient elles aussi, indiquant chacune le nord de mon poignet. Les murmures s'intensifiaient. Je pris Ghislain dans mes bras.

Ghislain n'avait plus peur, dans les bras de son père, il était à l'abri. Même la grande ombre ne l'impressionnait plus. Il était heureux d'avoir réussi le chemin sans encombre et en ne laissant rien paraître. Le souffle chaud de sa respiration lui revenait au visage, emprisonné par son écharpe qui masquait jusqu'à son petit nez.
« 5-4-3-2-1-LUMIERE » Et le grand sapin de la place centrale s'illumina de lumières multicolores. Nous étions 24 jours avant le jour de noël et comme chaque 1er décembre depuis 71 ans, à minuit c'était le moment d'illuminer le sapin. Autour de la place les lampadaires se déclenchèrent et les dizaines de guirlandes électriques disposées dans tout le village s'allumèrent une à une comme une vaste vague de joie, éclairant toutes les autres rues.

Tout contre moi, le petit cœur de Ghislain battait la chamade, son sourire ensoleilla mon propre cœur. Il riait de toutes ses forces, ses yeux pétillaient en sautillant d'une lumière à l'autre.
« regarde papa » me criait-il. « Regarde là et là ….... et là encore, c'est magnifique papa, vive noël»
Il sauta de mes bras et se mit à courir de tous les côtés, s'arrêtant tous les trois mètres pour m'invectiver à partager sa joie.
C'était la première fois qu'il venait voir le sapin de cette façon. Les autres années on était venue en famille dans la journée. Ghislain avait trop peur de la nuit avant. Voir le sapin s'illuminer était une si magnifique expérience.
Après quelques minutes, on s'approcha à nouveau du grand sapin. Il brillait et nous réchauffait même le visage. Ses branches étaient parsemées de gâteaux et de sucreries. Et comme tous les enfants présent, Ghislain mit peu de temps pour en dévorer quelques-uns. Les guirlandes brillantes cliquetaient, des jaunes, des bleus, des rouges et bien d'autres encore. Sur le sol, s'étalait des corbeilles de fruits et de chocolats.
Après une heure de joie, il était temps de rentrer. Ghislain n'eut aucune réticence à quitter la place magique, il avait tant de chose à raconter à sa maman et sa petite sœur. Et papa lui avait bien dit que tous les soirs on rallumait le sapin. Maintenant, il aurait aucune peur à refaire le chemin dans le noir, rien que pour vivre ce moment si magique. Pourtant il s'arrêta net avant d'arpenter les marches qui menaient à la porte de notre maison.
« Que se passe-t-il mon fils ? » alors que des miettes blanches virevoltaient autour de son visage.
« Il neige papa, c'est Noël avant l'heure » Et il éclata de rire, tout heureux qu'il était.

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