-"Eh toi, l'oiseau! Viens, viens, je suis là, approche".
Depuis quelques minutes qui lui semblaient déjà des heures, Hugo était couché mais il ne dormait pas. Blotti sous une épaisse couverture de peaux de rennes, il s'emplissait les yeux et les oreilles de toutes les lumières et sons qui filtraient à travers les parois de glace de sa chambre igloo et il hésitait.
Après tout il était dans un Ice-hôtel et il était juché sur un Jensen Bed Rêve Suprême, LE lit où l'on réalisait ses rêves. Mais aussi LE lit où l'on sautait, rebondissait, pirouettait et attrapait les étoiles sans que maman y trouve à redire. Et justement, ces étoiles, il les voyait et il avait bien envie d'en attraper une ou deux.
Ici, tout était magique. Il pouvait sauter et essayer d'attraper des auréoles boréales ou il pouvait sagement rester couché à rêver et attendre le Soleil de Minuit. Alors, il hésitait et il attendait, impatient de voir des caribous ou des revontulets[1].
Hugo était un petit garçon déluré et plein de vie. Il adorait les glaces et les glaçons. Il détestait les larmes qui perlaient parfois au coin des yeux de maman. Un jour, sur le chemin de la salle de sport, il avait percuté un vieux monsieur tordu, portant chapeau et canne en bois. Il ressemblait vraiment comme deux gouttes d'eau à un père Noël retraité, et certainement sourd:
- "Oh, pars donc, vieux croûton!"
Ce bonhomme était vraiment très très spécial. Non seulement il ne l'avait pas enguirlandé mais au contraire, il l'avait retenu par la manche et lui avait grommelé dans l'oreille:
- Hugo, Hugo, va donc à Jukkasjarvi. Là-bas les glaçons sont des maisons, les larmes de joie deviennent des bonbons, les larmes de peine tressent des couronnes aux rennes ; les oiseaux crient ton nom et leurs plumes étincellent sous les étoiles.
- "Jukka quoi? Des couronnes aux reines? "
Prêt à sauter de son Jensen-lit, Hugo songea une dernière fois à cette conversation surprenante, à ses recherches sur Internet pour retrouver cet endroit au nom bizarre, à ses supplications auprès de maman pour passer Noël là-bas, au pays des bonbons glacés qui lui feraient une couronne de reine. Il se disait même qu'il avait été très malpoli avec ce papy même pas bougon et se sentait un peu honteux. Mais là, maintenant, il en avait assez. Il ne voulait plus regarder, il voulait toucher, il ne voulait pas dormir, il voulait courir, il ne voulait plus penser, il voulait agir, attraper les étoiles, essuyer les larmes de peine, manger des bonbons glacés, voir des renards de feux et parler aux oiseaux lapons. Sinon, à quoi cela pouvait bien servir d'apprendre la géographie, le Pôle Nord, la Suède, Kiruna, Jukkasjarvi...
- "Jusqu'à c'que je meure d'ennui plutôt".
- "Eh toi, l'oiseau! Viens là!
Celui-là il tombait vraiment à pic.
-"Tu viens m'aider à décrocher les étoiles?" interrogea Hugo en observant l'oiseau. L'oiseau était surprenant. Là-haut, dans le ciel il volait comme un aigle roi. Ses ailes chatoyant dans la nuit, il l'avait presque confondu avec les étoiles. Maintenant, posé près de l'igloo, c'était une autre paire de manche. Il ressemblait plutôt à une ampoule électrique presque grillée posée sur des pattes de canard. En tout cas, c'est ce que se disait Hugo en se levant et s'approchant de la vitre pour mieux voir l'oiseau.
Hugo aimait les oiseaux, c'était même le spécialiste de sa classe nature et l'observation des oiseaux était un des rares moments où il restait calme. Il savait les appeler, leur parler et leurs piaillements ressemblaient souvent à des éclats de rire. Il espérait bien voir pendant ses vacances au Pôle Nord un Pétrel Fulmar dodu ou une mouette de Sabine. Car ces oiseaux, ils avaient un nom vraiment trop marrant. Oubliant le froid polaire, sûr de bientôt décrocher son étoile, Hugo ouvrit la porte fenêtre et se jeta au cou de l'oiseau curieux qui approchait. Il s'enfouit dans ses plumes dorées.
- "Et, p'tite canaille, lâche moi, tu m'étrangles, fulmina l'oiseau
- Noooon, j'ai froid, tu es tout chaud, tu brilles, tu es beau. Je veux rester avec toi. Mon nom c’est Hugo, et toi, comment tu t'appelles?
- Petrus, je m'appelle Petrus"
L'oiseau était bougon car il était venu pour assister au lever du Soleil de Minuit: chaque nuit il s'échappait de son nid pour assister à ces moments magiques. Il s’y réchauffait le cœur et les plumes même si elles finissaient par prendre un couleur plutôt bronzée.
- "Bon, d'accord. Reste là. Mais tourne toi, calme-toi et regarde, le soleil va se lever"
L'oiseau et l'enfant s'installèrent. Hugo se sentait comme couvé. Il était bien.
Quant à Petrus, petit à petit tous les éléments du puzzle se mettaient en place dans sa tête: L’autre jour, il avait croisé Jean Noël qui lui avait parlé d’Hugo de manière très énigmatique :
« Pétrus ! Un petit garçon va venir. Il s’appelle Hugo. Il est espiègle et curieux. Il adore les oiseaux, il les comprend, il leur parle. Tu dois le retrouver, t’occuper de lui. Hugo est notre sauveur, notre futur. S’il est émerveillé, il sauvera le Lapon des catastrophes écologiques à venir, il empêchera les prospecteurs de creuser et détruire nos montagnes gelées. Il peut nous défendre, montre lui toutes nos merveilles, transmets lui l’amour de notre pays".
Jean Noël avait donc trouvé l’enfant-roi et Petrus aussi. Petrus remua et se tordit le cou pour observer Hugo : le sentiment soudain qu’il allait participer ce soir à un moment encore plus merveilleux lui ébouriffa les plumes de bonheur anticipé. Et justement ça commençait.
- « Petrus, Petrus, pousse ta tête, je vois rien »
L’excitation d’Hugo était presque palpable. Pourtant il ne battait plus d’un cil. Au contraire il était bouche bée et ses yeux s’agrandissaient d’émerveillement. Dans ses yeux se reflétait l’embrasement de tout le Parc :
D’abord tous les enlumineiges[2] se mirent à scintiller comme des étoiles. Puis un ruban lumineux se déroula peu à peu dans le ciel : les couleurs étaient extraordinaires : des verts, des turquoises, toute la gamme de l’arc en ciel prenait possession du paysage. Le ruban allait en s’élargissant et le ciel s’embrasait d’une couleur rouge sang fantastique. Au loin la forêt se parait de guirlandes multicolores. Des dessins se créaient dans le ciel et on pouvait distinguer les renards magiques faisant une sarabande. Ils tournaient et virevoltaient, c’était comme une danse étincelante.
Hugo était collé tout contre Petrus. Celui-ci pouvait sentir le cœur d’Hugo se gonfler d’émotions. Il le sentait captivé, fasciné et il espérait que ces images resteraient à jamais marquées dans son esprit de petit garçon.
Le spectacle déjà se terminait. Les lueurs orangées s’amenuisaient peu à peu et le froid reprenait possession de la nuit polaire.
- « Oh Petrus, c’est trop beau, j’adore. C’est super, super. Je veux revoir ça, quand je serai grand, je viendrai vivre ici, à Jukkasjarvi. J’aime trop ces auréoles boréales»
- « Des aurores boréales »
Petrus et Hugo tournèrent la tête d’un même mouvement. Sans faire de bruit, maman étaient entrée dans la chambre. Accrochées dans ses cheveux brillaient les dernières lueurs de l’aurore boréale qui lui tressaient comme une couronne irisée.
Hugo se leva d’un bond, sauta dans les bras de maman et nicha sa tête dans son cou :
- « Maman, maman, t’as vu ? C’était trop beau. Je veux rester ici ».
- « Oui mon Hugo, mais si pour l’instant on aller se coucher et rêver à ce merveilleux soleil ?»
Doucement Petrus s’était redressé à son tour. Il jeta un dernier œil sur Hugo et sa mère. De sa démarche dandinante, il s'éloigna et prit peu à peu son envol pour retourner vers son nid. Il espérait que Jean Noël avait raison, qu’Hugo reviendrait et les aiderait à garder leur parc intact et leurs aurores magnifiques.