« Je dis au revoir à ma mère devant la porte avec deux baisers, une forte étreinte et la surprise de constater que tout ce que j’avais découvert lors de ces derniers jours ne parvenait pas à modifier notre relation. »
Ça faisait bien quinze ans que je n’étais plus venu la voir. Elle n’avait rien fait non plus, pour que je refranchisse sa porte. Elle avait enterré et remplacé tellement vite mon père, disparut subitement, que je m’étais fâché contre elle et partit en claquant la porte.
Je m’étais à l’époque posé la question : savait-elle sa fin proche ? Seulement, lorsque nous avons eu les résultats de l’enquête mené par la gendarmerie et qui concluait par : « accident automobile dû à une sortie de route sur une chaussée verglacée », je fus fixé : sa disparition semblait imprévisible ! C’était donc pire à mes yeux, puisque à peine choquée par sa disparition, elle se remettait en quête d’un nouveau compagnon.
Je venais de pénétrer dans la petite cour qui entourait la maison familiale. Il y régnait un silence engourdit par la chaleur du début d’après-midi. C’était le plein été. J’aurais d’ailleurs été étonné de voir un animal de compagnie m’accueillir avec des aboiements ou des miaulements, ma mère détestait les animaux de compagnie, au contraire de mon père qui de son vivant avait eu un petit épagneul. Ma mère ne cessait de rabrouer ce chien qui était tellement mignon. Dès qu’elle le trouvait dans ses jambes, elle lui envoyait méchamment des coups de pieds dans les côtes. Puis un jour, en rentrant du travail mon père retrouva le chien, allongé dans le fond du garage. Il était mort. Le vétérinaire, ami de mon père, avait conclu à un empoisonnement. Quand j’y pense encore je me dis que ma mère devait y être pour quelques choses…
Elle m’accueillit avec semble-t-il quelque crainte quant à mes réactions. Malgré la rancœur, j’œuvrais donc pour chercher à comprendre, pendant ces quelques jours, ce qui l’avait motivé à pratiquer de la sorte. Alors que j’étais venu à sa demande – les médecins venaient de lui apprendre qu’elle était atteinte d’un cancer déjà très avancé – c’est moi qui commençais à expliquer la signification de mon long silence ou plutôt de ma longue absence.
Elle m’écouta sans m’interrompre, puis cherchant tant bien que mal à se justifier, finit par me dire qu’au moment de la disparition de mon père, ils étaient sur le point de se séparer. Elle rajouta d’ailleurs, sans guère de gêne, qu’elle connaissait déjà au moment, celui qui allait devenir son nouveau compagnon…
J’avoue avoir été surpris à l’annonce de cette nouvelle. Je n’avais rien vu venir. C’était à peine croyable. Ils avaient bien caché leur jeu tous les deux. Je cherchais au plus profond de ma mémoire, les derniers moments vécus à la maison aux côtés de mon père…Je ne retrouve rien qui de près ou de loin ait pu me laisser penser qu’ils envisageaient de se séparer comme elle le prétend…
Mon père se comportait à son égard avec tellement de tendresse, qu’il était bien incapable de faire du mal ou même envisager la quitter.
Ça ne pouvait venir que d’elle. J’en suis convaincu. D’ailleurs en y repensant, je me rappelle qu’en dehors d’elle-même, les autres comptaient peu.
Plus j’y repense, plus je me dis que mon père aurait été hostile à cette séparation.
Était-ce à cause de cela, qu’il avait été cloué au lit à de nombreuses reprises pour un mal mystérieux ? Le docteur l’avait sauvé de justesse d’une septicémie.
Le matin de l’accident, il avait vraiment voulu aller voir un ami dans la ville voisine. Ma mère n’avait rien fait pour le retenir, alors que le médecin, en sa présence, lui avait déconseillé de sortir.
Aujourd’hui elle est de nouveau seule, son compagnon avec qui elle ne s’est jamais marié est décédé il y a quelques mois. Alors évidemment, vu son état, elle a pensé à moi…
C’est tellement trouble dans mon esprit, qu’en rejoignant ma voiture, j’essaie encore de remettre de l’ordre dans tout ce que nous avons évoqué au cours de la semaine passée.
« Ce n’est peut-être pas l’unique secret, pensai-je ensuite, mais j’étais fatigué, très fatigué »