Le petit Pierre contemple son âme. Pauvre petite chose otage de cet espace si exigu. Cet hiver est particulièrement rude. Adossé sous un réverbère dont l'éclairage illusoire semble abriter un feu follet peu chaleureux, il regarde les gens déambuler en ce début de soirée, d'un boui-boui à l'autre. Le visage à moitié occulté par une longue écharpe miteuse, il souffle sans conviction sur ses mitaines dans le vain espoir d'en réchauffer les extrémités. Les aspirations glaciales ont tendance à le faire suffoquer. Sa gorge y trouve d'ailleurs un certain agacement et rétorque à cette agression par une toux roque et purulente. Si peu d'individu lui prête attention, au point que leurs silhouettes se miroitent en ses yeux incertaines et volatiles comme les volutes qui s'échappent de leurs cigarettes. Rien ne semble plus s'accrocher à son champ de vision. Il en ri, comme un exutoire à cette limpide réalité. Ainsi, poudrés de givre, blanchissent ses sourcils, comme s'il explosait en son front l'émergence d'un air de vieillesse qu'il perçoit sommairement dans la vitrine fissurée de l'échoppe d'en face. Il se voit ainsi croupir sous ce pâle lampadaire, loin des salons aseptisés où tous les convives se retrouvent acculés à faire étale de faits plus ou moins glorieux pour mieux se fondre dans l'assemblée. Lui, il n'a aucun de ces racontars musclés à délivrer, il laissera peu de trace sur le registre, à peine perceptible pour eux dans ce tableau. Seules ses propres pensées font office de confidentes. Sous la lueur blafarde de ce simulacre de vie, il s'envole au gré du vent hivernal, laissant son corps au passage, où l'indifférence est loi.