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En face de lui s'aligne un peloton d'exécution, armes en joue. Cloué sur place, il se retrouve dans l'incapacité de fuir. Des gouttelettes de sueur perlent à son front, s'étalent sur ses tempes et coulent le long de son visage. Une moiteur froide couvre sa nuque, se camoufle dans sa chevelure ébouriffée, provoque le long de sa colonne vertébrale une vague de chaleur intense suivie d'une sensation de froid qui le fait frissonner. Une pression dans le bas-ventre lui signale qu'une envie d'uriner s'installe et deviendra impérative. La crainte de ne pouvoir en empêcher l'évacuation et de subir une humiliation mortifiante s'ajoutent à sa souffrance. Ses mains sont de glace. La confusion s'installe dans son cerveau, il n'arrive plus à penser clairement, ses idées s'embrouillent. Il voit des points noirs. Il croit devenir fou. Il perd contact avec la réalité, convaincu qu'il va s'évanouir ou même mourir puisque sa respiration est devenue difficile, laborieuse et que son cœur bat la chamade en une tachycardie qui lui sera fatale, il en est certain. Tous ses malaises persistent et atteignent un paroxysme durant ce qui lui semble une éternité. Suit une légère accalmie qui lui donne un soupçon de courage. Angoissé, il relève tout de même la tête, lentement, avec hésitation, et réussit à lorgner ses tortionnaires.

À l'extrémité droite, un regard bleu vif le fixe intensément et d'un geste théâtral,  l'invite à venir plonger dans ses eaux claires, limpides, profondes. Il détourne vite la tête loin de ces flots menaçants et monstrueux où il aurait vite fait de se noyer.

Il jette un coup d'œil craintif vers la gauche et se pétrifie sur le champ en y apercevant un des bourreaux sur le seuil d'une cage d'ascenseur qui, d'un coup de tête, l'incite à le rejoindre pour une ascension vertigineuse. Son cœur sautille dans sa poitrine à vive allure. Une phrase  résonne et se répète en écho dans son esprit : « Je ne peux pas! Je ne peux pas! »

Son regard se dirige alors vers le sol où il découvre sur le bout de sa chaussure gauche, une énorme araignée. Il sursaute et constate que des centaines de créatures semblables suivent cette dernière. Une colonie de bestioles dont il a une frayeur morbide  se dirige vers lui. Une longue chaîne grouillante d'arachnides le relie au peloton où il constate que l'homme armé, menaçant, en est complètement recouvert. Il ouvre la bouche pour hurler mais aucun son ne parvient à ses lèvres.

Son regard se soustrait à cette scène qui le terrifie et se fige sur un de ces individus bizarres lui faisant face. À la vue de ce pouilleux, couvert de détritus et de vermines, les mains noircies de saletés et recouvertes de pustules purulentes, il éprouve un haut-le-cœur, persuadé que tous ces microbes, toutes ces bactéries vont lui sauter dessus pour le dévorer et l'anéantir complètement. Machinalement, il s'essuie les mains sur ses vêtements, persuadé qu'il a été contaminé, même à distance.

Au premier rang des oppresseurs, un homme avance, lui tend la main, fait une révérence et étale à sa vue dans le but de le divertir, une immense salle remplie à craquer de gens qui parlent, chantent, chahutent et dansent. Des rires et des cris fusent et augmentent son malaise, lui qui ne peut supporter les foules, les bruits et les grands espaces. Il s'agenouille, baisse la tête et pleure son désespoir. Ce cauchemar ne s'arrêtera-t-il jamais?

Le jour s'étiole, la lumière baisse peu à peu jusqu'à disparaître totalement, l'abandonnant dans le noir total. Il perçoit des bruits bizarres qui l'apeurent. Il lui semble entendre des gémissements, des cris d'horreur, des grognements. Le danger est palpable, une attaque est imminente. Il mourra dans une douleur atroce, dévoré par quelques créatures monstrueuses. Il ne veut pas mourir malgré les tourments qui l'habitent. Mourir, c'est quitter le connu, c'est sauter dans le vide, le mystérieux, l'occulte. Il n'est pas prêt, il lutte pour éviter sa fin.

Il panique à l'idée de devoir affronter quelques autres dangers chimériques qui le guettent et qui n'attendent que le moment propice pour se manifester et le détruire. Dans un éclair de lucidité, il songe qu'il existe une possibilité de s'éclipser de cet intolérable délire. Il parvient à s'étirer le bras et à saisir un flacon de minuscules pilules blanches qui, malgré sa répugnance à y avoir recours, réussiront à calmer ses peurs, sa folie et le désarroi qui l'habitent. Pour quelques heures, elles feront fuir tous ses ennemis phobiques, les balaieront dans le fond d'un placard et lui offriront un répit temporaire jusqu'à ce qu'une nouvelle crise aussi forte, aussi violente vienne le propulser à nouveau dans une névrose débilitante. Il avale rapidement deux cachets, avant de changer d'idée par peur de créer un autre problème, celui de la dépendance aux médicaments, et attend avec impatience, l'effet salutaire tant désiré.

Et, malgré le soulagement temporaire qu'il ressentira, il sait bien  que le voyage dont il rêve depuis maintenant quinze longues années ne se concrétisera pas. Partir pour jouir de la vie et de la liberté. Il n'y croit plus.      

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