Aujourd’hui, Mardi 18 Décembre 1981, le monde sous-marin est en émoi. Au large des côtes marocaines, le Tanio, pétrolier malgache, a fait naufrage. Après avoir essuyé des conditions météorologiques particulièrement exécrables, le pont s’est fissuré. L’inévitable s’est produit : le Tanio s’est brisé en deux, déversant 19400 tonnes de pétrole.
Pour nous les courbines, pour nos amies les carpes et les truites mais aussi pour l’ensemble de la faune marine, le choc est énorme.
Le déversement d'une telle quantité de pétrole brut a anéanti tout espoir pour nos familles mais également pour nos générations futures.
Au croisement d’un récif, j’ai vu ma compagne Mona Lisa se faufiler dare-dare sans même me saluer. Elle, d’habitude si câline, n’a pas semblé me reconnaître. Il faut dire qu’avec cette marée noire, on n’y voit goutte. En serpentant entre les algues marines, des centaines et des milliers de cadavres errent comme des bateaux sans amarres. Les premières victimes de cette catastrophe industrielle et écologique ont pour nom Lily et Vivi, mes amies, les carpes asphyxiées par cette pourriture d’or noir. Leurs bouches grandes ouvertes et leurs yeux vident m’ont retourné l’estomac. Un début de nausée m’est remonté à l’œsophage. Mais, le danger presse et il faut vite se mettre à l’abri, le plus loin possible de ce poison. C’est la panique. Notre communauté, touchée de plein fouet, se heurte à la colonisation humaine. Démunis face aux menaces humaines, ma famille et mes amis sommes condamnés à disparaître. L’éradication est déjà en marche. Le Tanio, nous crucifie un peu plus encore.
A 150 pieds au-dessus de nous, les hommes et leurs machines ont pris possession des lieux. J’entends le bruit des moteurs. Mais, ne nous faisons pas d’illusion, les opérations de pompage ne nous sauveront pas. Pour nous, il est déjà trop tard.
Mona Lisa me disait, hier encore, que seules les sardines pourraient nous redonner un regain d’espoir. Elles seules ont le pouvoir d’améliorer l’état des eaux en limitant les effets de méthane mortellement nocifs pour notre monde sous-marin. En me repassant notre conversation, je ne pensais pas que nous aurions à faire face aussi rapidement à un tel cataclysme.
A cette heure, le traumatisme est abyssal tant la destruction des fonds marins, notre habitat, la destruction de notre faune et de notre flore, nos vies, sont irréversibles. Aujourd’hui, je sais que mêmes les sardines n’auraient pas pu lutter contre un tel fléau. Seul le sourire de Mona Lisa restera à tout jamais la clé de mon bonheur éternel.