Mon mainate, depuis quelques temps, refusait de parler. Je songeais un temps à en faire part au psy pour animaux, puis décidais de laisser les choses en l’état. Il n’avait pas l’air plus malheureux que cela, mangeait, buvait bien, faisait sa toilette, me regardait lorsque j’approchais de la cage, se posait sur mon bras, mon épaule, lorsqu’il pouvait voler en liberté.
J’avais acquis depuis peu un ordinateur, et m’habituais petit à petit à l’utiliser. Ce n’était pas une première main ; mais je m’en contentais. Un employé de maintenance était venu m’aider à l’installation ; nous avions travaillé quelques temps, afin que je puisse me débrouiller tout seul. Il avait été question de mailing, de programmes, de logiciels, de barres d’outils…il m’avait expliqué tout ce nouveau vocabulaire ; nous y étions revenus à maintes reprises. J’avais tout noté dans un cahier, espérant ne pas avoir trop maille à partir avec ces techniques, jusqu’alors inconnues de moi.
Mon amie s’absentait souvent pour les besoins de son travail.
Quand elle n’était pas là, je ne me souciais pas trop de la maison, et le ménage ne me prenait pas trop de temps.
Avant chacun de ses retours, je faisais attention à la maintenir plus accueillante.
C’est un soir qu’arriva la catastrophe.
A peine fut-elle rentrée, que nous entendîmes : « Mailing, bonjour mailing. »
- Maie[1] recommence à parler, dis-je tout content. Cela fait des j…
- Qui c’est cette Mai-Ling ? interroge aussitôt mon amie, les sourcils froncés.
- Il n’a pas dit Mai-Ling, il a dit mailing.
- Ne mens pas ; je comprends maintenant pourquoi tu prends des cours de chinois. Tu me trompes avec une chintoque.
- Tu n’y es pas du tout. Je prends des cours de chinois, pour mes recherches sur la calligraphie.
« Mailing, bonjour mailing ».
- Tu vas te taire, espèce de…
Malgré mes dénégations, mon amie ne me parla plus de la soirée, ni le lendemain ; cela dura des jours et des jours. Je songeais un temps à en faire part à un psy…heu, non, ça c’était avant, pour le mainate.
Un jour, enfin, elle m’adressa la parole.
- Tu as un ordinateur ? Depuis quand ?
- Pendant ton dernier voyage, j’ai fait une affaire. Quelqu’un qui changeait son matériel informatique, vendait le sien d’occasion.
- Tu sais t’en servir ?
- Mais bien sûr. Je te montre ?
Je m’installais devant l’ordinateur, lui expliquais tout ce que je savais ; la partie correspondance l’intéressant plus particulièrement, nous pourrions nous écrire quand elle serait en déplacement. Il lui fallait une adresse mail.
La mienne étant georges3@laposte.net[2]; la sienne fut navire@laposte.net
Nous pûmes ainsi échanger plus facilement. Et l’incident « mailing » était clos. Du moins, c’est ce que je croyais.
Un matin, la voilà, tout sourire, habillée en geisha, apportant un plateau. Sur le plateau, une théière fumante ; en versant le thé, elle eut un geste maladroit et manqua de m’ébouillanter.
- Qu’est-ce que tu fais ? Aille, fais attention, tu en as versé à côté. Ça brûle. C’est pour toi le thé ?
- Non, c’est pour toi.
- Tu sais bien que je ne bois jamais de thé. Je ne l’aime pas.
- Il faudra bien que tu t’y habitues. Alors autant commencer aujourd’hui.
- C’est quoi cette histoire ?
- C’est l’histoire de ce sale type qui se tape la petite maigrichonne aux yeux bridés, du premier étage, quand je ne suis pas là.
- Co, comment, je ne comprends pas ?
- Tu ne comprends pas ? J’ai vu en passant, écrit sur sa porte : Mai-Ling.
« Mailing, bonjour mailing »
- Tu vas te taire ! Avons-nous crié en même temps.
Au même moment un coup de sonnette ; j’ouvre ; devant moi, un homme furibond.
- Bonjour mons…
- Si votre oiseau de malheur n’arrête pas immédiatement de se moquer de ma femme, je reviens lui donner un coup de fusil.
La porte refermée, mon amie et moi, nous nous regardons interloqués. Que faire ? Si au moins Maie n’avait pas recommencé à parler.
Mon amie s’écrie alors, regardant l’ordinateur.
- J’ai compris ! Mailing, cela veut dire correspondance électronique. Ce que j’ai pu être bête ; je te demande pardon Georges, pour mes stupides soupçons. Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Et si nous apprenions à Maie à parler français ?
Maie est à ce jour, le seul mainate, de par le monde, à savoir dire « vous avez reçu une correspondance électronique, bonjour, vous avez reçu une correspondance électronique, bonjour, vous avez reçu une correspondance électronique, bonjour… ».
- Tu vas te taire !
[1] Maie est une femelle mainate, offerte au mois de mai
[2]Troisième génération de Georges