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"Dépêchons-nous, on va être en retard !". Dans cette rue pavée qui s'étend toute droite au milieu du coron, une fine et froide pluie d'automne fait frissonner les deux copines. "T'as vu, le défilé est annoncé, ça y est !". Malgré le mauvais temps, elles s'arrêtent devant le tableau d'affichage de la Mairie :

DIMANCHE 24 NOVEMBRE DEFILE DES MAJORETTES ET DE LA FANFARE DE VERMENTON.

"On a intérêt à être à la hauteur sinon ils ne vont pas nous rater tous les vieux, je les entends d'ici : De notre temps, ça avait une autre allure… Mais tu te rends compte, il va peut-être y avoir France 3 Nord, et on va peut-être être choisies pour la grande finale de décembre, et peut-être qu'on va gagner le voyage à Disneyland…"

Nadège tempère l'ardeur de son amie "Peut-être ceci, peut-être cela, tu te rappelles Pérette et le pot au lait qu'on avait appris à l'école primaire avec la mère Dupuy ?" Vanessa hausse les épaules.

Elles arrivent dans la salle des fêtes où on entend les musiciens s'exercer chacun dans son coin – les cuivres jouent le plus fort, souvent faux d'ailleurs – comme des casseroles remarque Vanessa.

Mais plus question de plaisanter, la chef tape dans ses mains et fronce les sourcils : "Mesdemoiselles, un peu de discipline je vous prie !". Pour l'heure les répétitions se font en survêtement, le costume de parade, un justaucorps de satin bleu, on le garde pour les toutes dernières afin de le préserver d'un malheur, un accroc, une tache…

Vanessa et Nadège mettent tout leur cœur à exécuter les figures, à lever haut la jambe, à suivre la cadence. Dans un coin de sa tête, Vanessa ne peut s'empêcher de poursuivre son rêve de gloire, synonyme d'évasion. Oh oui… enfin quitter cette triste région, connaître autre chose, voir d'autres gens…

Et patatras ! Comment a-t-elle fait son compte ?  La voilà étalée de tout son long. Elle ne peut plus bouger son pied. Le sang coule de son arcade sourcilière. Le silence s'est fait. Les musiciens, les filles se précipitent : "Ho là là, ma pauvre, tu t'es fait mal ?". Madame Jeanine écarte tout le monde : "On va l'allonger sur la moquette et appeler un médecin pour son pied. En attendant, on va lui arranger un peu la figure. Va chercher de l'eau et la trousse de secours" ordonne-t-elle à Nadège.

Une heure plus tard, un sparadrap sur le front, le visage tuméfié, sa cheville foulée bandée, Vanessa est reconduite chez elle par la mère de Nadège.

En repassant devant la Mairie, elle détourne ses yeux pleins de larmes du tableau d'affichage. Nadège lui tient la main et lui murmure : "Tu vois, il avait raison La Fontaine !" et toutes deux éclatent de rire.

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