Je suis née en ce début d’après-midi printanier où les premiers rayons de soleil caressent votre peau après tant de mois d’hibernation, privée de lumière et de chaleur.
Je ne sais pas ce qui m’a poussé le matin même à entreprendre ce grand nettoyage de printemps que je remettais chaque jour au lendemain mais c’est emplie d’une énergie nouvelle que je m’attaquai à bras le corps au tri de toute une vie.
Peut-être, était-ce le moment pour moi d’y mettre un peu d’ordre après toutes ces années de galère à colmater des brèches dont je n’ai jamais compris le sens. Après dix ans d’analyse, j’étais loin d’avoir trouver les réponses à toutes mes fêlures et j’avoue que le découragement s’était emparée de moi à maintes reprises déjà. Mais jamais, je n’avais renoncé. Je m’étais toujours accrochée, cherchant au plus profond de moi, à mieux canaliser cette peur sourde et insidieuse qui grondait à tout instant.
Pourtant ce matin, j’avais le cœur léger et plus que jamais l’envie d’un renouveau. Ma rencontre avec Louis il y a quelques mois n’était sans doute pas un hasard dans ma volonté farouche d’effleurer le bonheur que j’avais fui jusqu’à présent.
Gravissant les escaliers, j’ai ouvert grand les portes de ce grenier dans lequel jadis je rechignais tant à monter. Sans une hésitation, j’ai dessanglé les dizaines de malles qui vivaient là depuis tant d’années au-dessus de ma tête, logées dans le coin de cette grande et belle pièce. Je me rendais compte à quel point cette mansarde était emplie de charme et de mystère. Combien de temps avais-je donc perdu à fuir mes peurs et mes angoisses enfantines ? Aujourd’hui, des idées d’aménagement, d’agrandissement même venaient se bousculer dans ma tête rendue soule par une frénésie vivace. Louis et moi … Un nouveau départ. Louis et moi et cette maison … Une nouvelle famille … une famille peut-être.
La découverte des mille et un trésors enfouis dans les différents coffrets que je m’empressais d’exhumer excitée ma curiosité. Des photos de famille, des visages familiers, d’autres plus méconnus que je caressais du bout des doigts afin de mieux les apprivoiser, des cartes postales timbrées des quatre coins du monde, des cahiers remplis d’encre bleue, la lecture de ces vies, celles de mes ancêtres, tout un pan de ma vie défilait sous mes yeux à présent embués. Une pause avant de reprendre mon exploration et je replongeai les mains dans tous ces objets, symbole de mes origines.
Après deux ou trois heures de cette fouille exaltée, entre une panthère en peluche toute râpée et une poupée désarticulée, c’est à ce moment que ma vie a basculé. J’y ai extirpé une pile de lettres cachetées nouées d’un ruban bleu. En délaçant le passement, les dizaines et les dizaines de missives m’échappèrent pour venir s’éparpiller tout autour de moi. J’en ramassai une et m’aperçut qu’elle m’était adressée. Le cachet de la Poste indiquait qu’elle avait été postée le 4 Juillet 1981 à Toulon. Qu’est-ce que tout cela pouvait signifier ? Les scénarii les plus improbables défilèrent dans ma tête en un laps de temps record, peut-être quelques fractions de secondes. Ma tête bouillonnait. Mes tempes cognaient. Mon pouls s’accélérait. Devant ce pli jauni par les ans, je ne pouvais plus reculer. Arrachant l’enveloppe, j’en sortis quelques feuillets. Sans perdre de temps, j’agrippais la dernière page et lus en guise de signature « Ton Papa qui t’aime, ma chérie ». Je me sentis vaciller. Il ne fallait pas céder. Pas si près du but. Je devais rassembler mes esprits et y parvins. Quelle était donc cette mauvaise farce ? Cela faisait 23 ans, 8 mois et 16 jours que mon père nous avait quitté. Bel et bien mort ainsi que me l’avait appris ma chère mère. Mort dans un accident de voiture. Mon père avait définitivement disparu de ma vie du jour au lendemain.
Ramassant les lettres éparses, j’entrepris de rattraper la lecture de 23 années de retard ! Mon père … Mon père qui m’écrivait alors que je le croyais mort. Mon père qui me livrait tout son amour, tout son chagrin de ne pas être à mes côtés pendant toutes ces années. Tous ces anniversaires où il n’était pas là, à le croire mort, à pleurer toutes les larmes de mon corps.
Ma mère m’avait menti. Elle avait osé durant toutes ces années, emportant ce lourd et terrible secret jusque dans sa dernière demeure. Tout ce temps où j’étais orpheline d’un père, le cœur déchiré par son absence. Lui qui devait veiller sur moi, s’occuper de moi, me rassurer quand j’avais peur. Un prisonnier. Voilà ce qu’il était. Un condamné derrière les barreaux. Une vilaine bagarre dans un bar du port de Rouen avait dégénéré et s’était terminée par un couteau planté dans le cœur de l’un des agresseurs de mon père. Tout cela, mon père me l’expliquait dans ces lettres que ma mère avait pris grand soin de me cacher. Mon Dieu ! Qu’avait-elle donc fait ? A quoi pensait-elle ? Songeait-elle vraiment à mon bonheur sachant mon père mort dans un accident de voiture plutôt que de me dire la vérité ? Que de larmes, j’avais versées ! J’étais salie, trahie ! Fallait-il lui en vouloir pour autant ? Tenaillée entre colère, ressentiment la tristesse, je pensais à ma mère, à celle qui m’avait élevée, choyée, aimée jusqu’à son dernier souffle. Elle avait fait de son mieux, … sans doute.
Essuyant mes larmes, je rassemblai tous mes trésors sur mon corps et me sentis tout à coup régénérée, comme si le puzzle prenait enfin forme. Oui, je crois que je me sentais entière. Maintenant, je pouvais aller de l’avant. Ce soir, j’annoncerai la bonne nouvelle à Louis. Ce soir, je le demanderai en mariage. Et mon père sera là, présent, à côté de moi le jour de nos noces …