Une maille à l'endroit, une maille à l'envers, le cliquetis des aiguilles poursuit le tic tac de la pendule : chaque seconde a sa maille, les doigts poussent les boucles, la trotteuse bouscule le temps tandis que la pelote roule, se déroule, dévide ses fils qui s'étirent, s’effilochent vers un passé lointain où les flash-back fusent, s’associent, se trament, se mélangent, se confondent en un tissu de souvenirs peuplé de toisons laineuses, de champs fleuris, de sentiers moussus, de ruisseaux qui caracolent de pierre en pierre, de barrières à sauter pour franchir le seuil du sommeil de l’enfant anxieux qui retarde le moment de se laisser emporter par le soir de peur d’être englouti dans le néant-nuit et précipité dans des aventures douloureuses si bien qu’il prend son temps pour s’endormir en regardant défiler la toison des moutons au rythme des minutes qui passent en saccades marquées par le tempo des aiguilles qui s’entrechoquent : une maille à l'endroit, une maille à l'envers; il en faudra des heures pour venir à bout de l’ouvrage, une infinité d’heures car rien ne presse puisque le petit bonhomme vient juste de débarquer sur cette Terre et ce n’est pas demain qu’il compte la quitter, pas avant d’avoir suivi jour après jour les mailles à l'endroit, les mailles à l'envers, les rangs et les hors rangs, torsades par devant, coups tordus par derrière, quelques picots disséminés, des trou-trous pour dérouter; des jours et des jours sans quitter le fil conducteur jusqu’à ce que l’écheveau s’amenuise, les secondes s’épuisent, les aiguilles s’affaiblissent, le cliquetis se tarisse : une maille à…