Le temps est un matou silencieux qui passe lentement devant la porte en regardant le berceau blanc de l'enfant qui dort. Il se glisse en catimini et de son ronron berce le sommeil du tout-petit.
Le temps est un grand chat maigre, haut sur pattes, qui court, grimpe et saute en tous sens après mouches, papillons, ombres et lumières d'un feuillage changeant sous le soleil. L'enfant rieur qui le suit, filet en main, essaie d'attraper l'insecte voltigeant, cueille le fruit ou la fleur sauvage, traque l'ablette fuyante en traversant la rivière à grand bruit, pantalon retroussé, brouillant sa propre image.
Le temps est une jolie chatte hautaine assise au bord d'une fenêtre.
Dans l'agate changeante de ses yeux mystérieux se reflète toute la beauté du diable. La jeune fille, tête haute, marche vers son rendez-vous. Il l'attend, allumant pour calmer son émotion, la première cigarette. Elle a mis des heures à se préparer. Etait-ce nécessaire? Elle est belle et fraîche comme une brassée de fleurs.
Le temps est une chatte toute douce, couchée en rond, ses petits tétant goulûment ses mamelles. Il dort, une journée à l'usine l'a épuisé. Les cheveux accrochés en vitesse, tenant son peignoir d'un main, elle se penche sur le bébé pour lui redonner sa sucette. Pourvu
qu'il se rendorme sans réveiller son grand frère. La maison est close et bien chaude. Le temps accélère.
Le matou satisfait surveille le monde depuis le canapé devenu son fief. De temps en temps, il s'étire et baille. Envolés les enfants.
Lui gratouille un peu au jardin puis rentre bien vite regarder le sport à la télévision. Elle est devenue une rose d'automne ronde et encore belle. Mais, bientôt, le premier pétale tombera et...
Le chat est sur ses genoux. Il est tout rond et plutôt lourd. Elle ne bouge plus guère. Toujours fatiguée. Le temps l'a rattrapée. Le chat attend. Dans ses iris brillent les fils des Parques et dans sa pupille la lame qui les coupera.
Mais le chat, lui, a neuf vies. Surveillez bien le chat! Il détient le secret du temps qui passe.