La petite fille est assise sur une chaise basse, un gros ours brun sur les genoux. Ses grands yeux noirs, intrigués, sont levés vers le visage de Grand'Mère.
Grand'Mère sourit à peine. De sa main gantée, elle semble écarter la
question de la petite.
"Que me dis tu là, enfant? Je n'avais pas cette sorte de jouet dans ma jeunesse. D'ailleurs, à quoi pensent tes parents en t'offrant cette...chose?
- Mais à me faire plaisir Grand'Mère. Vois comme il est joli, tout brun avec sa petite langue rouge. Je lui mets son petit pull over blanc, voilà... comme cela... et il vient au dodo avec moi. Je lui chante une berceuse et je m'endors après."
La fillette a joint le geste à la parole, a vêtu l'ours, puis l'a enveloppé dans un linge blanc. Elle sourit, debout dans la lumière douce de ce soir d'été, sa robe blanche en corolle autour d'elle. Ses cheveux bruns, coupés au carré, lui donnent un petit air sage. Elle berce son ours avec douceur et application.
Grand'Mère remonte son châle noir sur ses épaules et lisse sa jupe de sa main sèche. Une mèche s'échappe de son chignon blanc. Les yeux baissés vers la petite, elle considère à la fois l'enfant et le jouet.
"Petite, à ton âge, ma mère m'envoyait au lit après le repas. Parfois, elle me lisait quelques pages d'un livre. Elle veillait simplement à ce que j'ai fait ma toilette et mes devoirs, puis disait une prière avec moi. Quand il était là, mon père venait m'embrasser. Puis je devais dormir. C'était tout simple. Mon Dieu, que les enfants d'aujourd'hui sont exigeants!"
La petite fille se rapproche de la vieille femme, jupe blanche contre jupe noire, menotte posée sur gant de fil noir. Le regard de l'enfant se fait grave et elle parle doucement :
"Grand'Mère, il faut que je t'explique. Tu sais, moi aussi, j'ai eu des malheurs. Mon amie Camille est partie à Paris et je ne la verrai plus. Mes grandes soeurs ne s'occupent pas de moi parce qu'elles disent que je les embête. Dès fois aussi, Papa et Maman se disputent très fort. Ils prétendent que c'est pas vrai, mais moi je le sais bien, même si je me bouche les oreilles très fort. Et quand je suis trop malheureuse, je parle avec mon nounours et il m'écoute ou je pleure contre lui et il me console. Regarde le, Grand'Mère, s'il te plaît. Il sais tout de moi et je l'aime. Il ne parle pas, mais je sais qu'il m'aime aussi"
Très étonnée, Grand'Mère dévisage la petite. Puis elle baisse la tête.
Les deux mains ouvertes sur les genoux, elle se penche doucement vers l'enfant :
"C'est toi qui a raison, Sylvie. Moi, je suis une vieille femme et je n'ai plus personne à qui parler. Je suis trop grande pour pouvoir pleurer et pourtant j'ai eu beaucoup de malheurs. Quand j'étais enfant, les parents étaient bien plus sévères qu'à présent. Ils n'admettaient ni discussion ni exigeance de la part des enfants. Et j'ai bien souvent eu beaucoup de peine toute seule. Tu es une bonne petite fille, Sylvie. Viens m'embrasser"
Toute tendre, Sylvie se glisse sous le bras de sa Grand'Mère :
"Oh oui, je veux bien te donner un bisou! Quand tu seras peinée, viens me voir, chère Grand'Mère, on sera ensemble et je pourrai même te prêter mon nounours. Il comprendra."