Assise sur le lit en fer forgé, jambes chancelantes, tête lourde, je me sens anormalement calme. Le vide s’est fait dans ma tête. Je prends appui sur mes mains fripées et me redresse. Je me masse le creux des reins, remets en place mon pantalon froissé. Je suis prête. Je m’approche de mon petit trésor, un morceau de miroir que les multiples fouilles n’ont pas parvenues à démasquer. Je suis dos au mur. Face à moi-même.
Les larmes pointent au bord des yeux, ma gorge se serre, mon estomac se crispe, mon cœur palpite, mes tempes cognent mais qu’importe, je ne veux plus fuir. Je ne peux plus me le permettre. Plonger mon regard dans le mien, je me dois bien cela. Qu’il m’en coûte ou non. Le mal est fait. Je n’ai plus de temps à perdre. Je l’ai suffisamment laissé filé. Tricher ne m’apportera rien. Le regard droit et pénétrant, je regarde la femme que je suis devenue. A 30 ans, mes yeux sont prématurément cerclés d’une multitude de ridules. Je passe et repasse le bout de mes doigts sur mon visage. La sensation est étrange. L’élasticité de mes 20 ans a fait place à la rugosité d’une vieille femme. Mes yeux ont perdu l’éclat de la jeunesse. Apathiques et sombres, ils ont la gravité de ceux qui ont perdu tout espoir, toute illusion. Mes cheveux autrefois dorés et bouclés sont devenus aussi rêches que du foin. Ce matin, je n’ai même pas pris la peine de les brosser. Je les ai machinalement enroulés et coincés avec un crayon de papier que je porte toujours dans la poche de ma chemise.
Anémié, fatigué, mon corps porte les stigmates d’une culpabilité qui aurait rongé les rondeurs et les rires d’autrefois. Je cherche au fond de moi. Je scrute les moindres détails de mon visage. Je regarde minutieusement mon enveloppe corporelle. Mais, il ne reste nulle trace de la jeune fille que j’ai connue. La peur, les regrets, les souffrances du temps … Je ne vois que cela, face à mon miroir. J’ai brisé ma vie. Elle m’a traversée sans que je puisse la retenir. Me voilà condamnée et demain je ne serai plus. Je pleure sur la vie que je vais perdre. Je pleure de rage. Je pleure de tant de bêtise. De ne pas avoir su. Je pleure sur la jeune femme que je ne suis plus. Je relève la tête et me regarde une nouvelle fois. J’essuie mes larmes et adresse un sourire à mon reflet. Je voudrais la serrer dans mes bras. Lui dire que je l’aime et que je regrette. Je me recule et détourne les yeux du miroir. Je plonge mon visage dans mes mains m’arrachant les cheveux par touffe entière, me griffant le visage, hurlant à la mort pour que l’on me délivre enfin. Le reflet de cette femme éteinte me hante, me terrifie d’effroi, me glace le sang. Ce n’est pas moi. Ce n’est pas possible. Je ne peux pas y croire. Je ne veux pas. Et pourtant, … Je l’ai vue à l’instant. C’était bien elle. C’était bien moi. Tout est allé de travers. Tellement vite … trop vite … Je n’ai rien pu faire. Le destin ne se laisse pas si facilement infléchir. Peut-être aurais-je pu … faire autrement … et ne pas mourir à 30 ans. C’est tellement bête, ne pensez-vous pas ?!