P9 Alraune - L'absent

Ça ne devrait pas être si difficile. Ça ne devrait me demander qu’un peu de temps. Ça ne devrait pas me… Demander de me mentir à ce point. Je n’arrive à rien comme ça. L’enveloppe ouverte tremble entre mes doigts. A quoi ça sert, tout ça, maintenant ? Emballer quelques affaires… Juste débarrasser le grenier… Et voilà où nous en sommes.

Brûler tous ses vieux tableaux, ses vieilles tapisseries poussiéreuses. Le feu a quelque chose de vivant, d’hypnotique, comme un animal affamé que rien ne rassasie. Qui me donne presque -presque seulement- envie que quelque chose en réchappe. En fait c’est moi qui voudrais y échapper. La lettre ira rejoindre les braises, je veux la voir se consumer lentement et avec elle j’en serai quitte pour un mensonge de plus. Et faire comme si je n’avais rien trouvé ? Comme si… Elle. Pas moi. PAS MOI.

Je la comprend sans rien comprendre. Davantage avec… Non. Pas ça. Dedans. Dedans je la comprends. Même si c’est injuste. Même si c’est cruel. La seule chose qui me reste à apprendre c’est qui lui répond. Qu’est-ce qu’elle me cache encore ? Tant de colère. Tant de questions. Et l’envie de lui faire mal comme cette enveloppe m’a fait mal.

Il y a quelqu'un là-bas, un autre absent, qui pendant toutes ces années a remplacé mon père. Quelqu'un qui écrit à ma mère toutes les semaines, demande de mes nouvelles, envoie des cadeaux pour Noël et n'a jamais oublié un anniversaire. Qui ? QUI ?

L'enveloppe avec le gros tampon rouge "décédé" se racorni, s'irrite, prend feu et il n'y a plus qu'un petit, insignifiant, mélancolique tas de cendres.

Je m'imagine écrire à une femme qui n'est pas la mienne. Lui écrire depuis 20 ans. Prendre soin de loin d'une famille dont je sais tout mais ne verrai jamais. Je l'envie presque, ce type. J'envie sa... Dévotion ?

Mais de moi je ne sais plus quoi faire. Quoi leur dire ? Leur dire seulement quelque chose ?

Je vais rentrer chez moi.

Juste rentrer chez moi...