Elle était là, assise sur un banc, au milieu de la place, la dame créole, présente et absente dans le naufrage du temps. Tellement triste et désemparée. Quelle fâcheuse destinée avait osé frôler cette femme pleine de mystères et de charme ?
Elle s’ennuie, seule, assise sur ce banc, à regarder les passants
pressant le pas et rentrant chez eux… La nuit tombait déjà dans une brume diaphane, un froid léger arrivait avec elle...
Je la regardais profondément, la dame créole assise sur le banc, la fouillant de mes yeux. Elle était vraiment très belle; des yeux verts de l’émeraude des îles, de longs cheveux d'ébène lui tombant jusqu'aux reins,
un visage fin et doux, tout en transparence, moulée dans une longue robe couleur de l’ambre de la Baltique.
Elle ressemblait ainsi à une de ces nymphes rares qui attendent au bord d’une invisible fontaine.
Devant tant de beauté, je restais tétanisé, figé ne sachant que faire.
Une immense vague me soulevait, je sentais des mots se bousculer dans mon cœur affolé. Je voulais aller, courir, la prendre dans mes bras et là, sans attendre un instant, lui proposer ma vie, mes rêves, ma maison et mon âme. Et puis par dessus tout… tous mes rêves d’enfant…
Je ne voyais plus qu’elle, je ne sentais plus qu’elle, je vivais dans un rêve que je voulais éternel. .Il ne manquait que trois pas à peine pour basculer vers son monde.
Je pensais en moi-même qu’une belle femme pareille
ne méritait pas d’être abandonnée là sur les pavés froids de cette place,
J’entrepris de l'aborder à tout prix, à mes risques et périls, même s’il m’en fallait mourir sur l'heure….de ma timidité maladive! Je ne savais pas comment lui dire que je voulais la connaître, que j’étais déjà à ses pieds; que j’étais amoureux!
Allait-elle m’écouter ? Même seulement tourner la tête ? Un flot de questions noyait mon esprit et mon être...Peut- être attendait-elle son compagnon sinon pourquoi était-elle là la dame créole ? Seule sur cette place vide où n’errait déjà plus personne….
L’hiver est ainsi, une saison presque morte où quelques ombres parfois se meuvent. Il me fallait faire vite, je ne voulais pas qu'un autre homme puisse aussi la regarder, l'aborder….
Un instant, un seul, les deux émeraudes se posèrent sur moi…peut-être ?
Je me mis à trembler...Elle n’était pas indifférente…et je devins si impatient de pouvoir enfin lui parler. D’un pas mal assuré, presque délivré
je me dirigeais vers elle….Le premier mot se précipitait déjà sur mes lèvres…
Une superbe voiture se gara à ses pieds...Elle se leva en souriant, ouvrit dans un balancement lancinant de ses hanches la portière arrière, monta lentement, murmurant une impossible parole…La voiture démarra en trombe.
Je restais là, tentant de décoder ses derniers mots prononcés et jetés à la volée juste pour moi. Elle semblait m’avoir dit : « mon beau prince, comme je t’ai trouvé aujourd’hui, je te retrouverai encore, ne t’inquiète de rien. »…
J’étais désespéré, j’avais tout perdu, je n’avais pas essayé, je n’étais bon à rien: "le lion est mort, jetez-le dans la fosse...." ainsi dit la prophétie...
Je regardais la voiture filer dans le brouillard de l’oubli...De lourdes larmes me coulèrent sur les joues, seules, sans mot, sans son. Et puis, en une ultime seconde, je n'ai plus rien vu. Je n'ai plus rien su. Je n'ai rien compris. .Le monde s’est refermé autour de moi comme une parenthèse.
A quelques mètres de là, un chat errant dans l’ombre m’observait avec tristesse et attention... je grelottais de froid…perdu dans mon désarroi...
Elle nous manque....