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Il était là, planté sur ses longues jambes, robuste malgré son grand âge. Il paraissait aussi solide qu’un grand chêne. Il avait traversé le temps, vécu ces périodes héroïques où chaque action quotidienne était un exploit. Tout jeune, il avait passé paisiblement son temps à chasser, pécher et vivre avec sa tribu. Tout était relativement simple, il fallait assurer, en quelque sorte, le gîte et le couvert, trouver la chaleur idéale et réconforter celle intérieure.

 

Mais tout changea, quand des hommes, à la peau plus pale que la sienne, vinrent en maître tout régir, tout réglementer. Notre homme ne connaissait qu’une loi, celle de la nature. Ils en créèrent des milliers auxquelles il ne comprit rien. Lui, parlait de paix, d’égalité et de liberté; ils répliquèrent par la guerre, le racisme et le droit à leurs libertés. Il parlait encore de partage, ils répondirent par un massacre. Ses pères se battirent contre l’envahisseur, pour faire respecter leur culture, leur liberté. Mais, leurs armes n’étaient plus adaptées. Ils ne chassaient plus le daim ou l’ours, mais l’être suprême, tout imprégné de sa grandeur et de sa bêtise. L’ennemi était plus fort, plus nombreux. Ils résistèrent, mais durent abdiquer, en gardant leur fierté. Et dans les traits rudes du vieil homme se manifestait encore sa seule richesse, sa fierté d’être encore et toujours un chef indien Apache.

 

6 heures du  matin, Linda se réveille. Pas le temps de se prélasser dans le lit, il faut se lever, réveiller John et Mathilda pour les préparer pour l’école. Le bus de ramassage scolaire passe à 7H15 précises, ni avant ni après. Alors, il ne faut pas traîner. Vêtue d’une simple combinaison blanche, elle sort de son grand lit et se dirige vers la deuxième chambre de son petit appartement. Les deux enfants, âgés de 8 et 10 ans, dorment dans des lits à étages.

 

Linda entre dans la chambre, caresse le ventre de Mathilda qui, dans un demi sommeil, sourit sous l’effet des chatouilles. Puis la mère chiffonne la chevelure blonde de John. Il grogne. Linda insiste. Il gigote et ouvre une paupière. Les deux enfants sortent de leur torpeur:

 

LINDA:  - Allez, debout les enfants ! A la salle de bains !

 

Les enfants quittent lentement leur lit. Linda se pare d’une robe de chambre en lainage et se rend vers la cuisine, tandis que les mômes se dirigent, l’un vers la salle de bains, l’autre vers les toilettes. La casserole de lait bouillone. Linda verse le liquide chaud dans deux tasses, remplies de granulés de chocolat. Ensuite, elle dépose un paquet de biscottes et du beurre sur la table. Les enfants ont échangé leur lieu.

 

Linda passe dans sa chambre, fait rapidement le lit, prépare l’ensemble qu’elle va mettre. Elle a sorti le tailleur pied de poule, car son patron reçoit d’importants clients, il faut que tout le personnel les impressionne. Les enfants se rendent maintenant vers la cuisine, pour prendre leur petit déjeuner. Comme chaque matin, tout était réglé comme un ballet, chaque danseur exécutant son rôle et laissant la place à l’autre.

Linda profite de ce changement de scène, pour s’approprier de la modeste pièce qui leur servait de salle de bains. Le rituel continuait, pendant que Linda était sous la douche, les enfants chahutaient, en tartinant leurs biscottes. Linda sort de la salle de bains, le calme revient dans la cuisine. Linda se rend rapidement dans sa chambre et, tout aussi prestement, enfile son ensemble pied de poule.

 

7H 10. La porte de l’appartement de Linda s’ouvre. Elle pousse du geste et sur le pallier ses deux enfants, habillés proprement et harnachés de leurs lourds cartables.

C’est toujours à cet instant que Bill Milton rentrait chez lui, après une nuit de travail.

Il était pianiste de Jazz, pas un grand pianiste, mais du genre de ceux dont le talent permettait de remémorer aux clients tous leurs vieux airs favoris. Il était fatigué, mais ses yeux swinguaient encore vivement.

 

Quand il voit Linda se dépêtrer avec une grande poubelle verte et tentant de fermer sa porte à clef, il propose de l’aider. Elle lui sourit. Ils se mettent, tous les quatre, à descendre le miteux escalier en bois de l’immeuble. Bill dépose sur le trottoir, près de l’entrée de l’immeuble, la poubelle.

 

Le bus jaune du ramassage scolaire pointe déjà au bout de la rue. Linda tente de refréner l’ardeur de ses marmots. Bill, bien que fatigué, veut attendre l’arrivée du car.

Il veut saluer son ami et voisin. Le bus s’arrête près du quatuor. La portière du bus s’ouvre, le chauffeur lance un regard vers le trottoir, il reconnaît Bill. Ce dernier lance:

 

- Salut, Grand chef !

 

Le conducteur lève sa main et appuie son geste d’un :

 

- Hugh, Bill !

 

Forçant ses enfants à monter dans le car, Linda ordonne :

 

- Allez plus vite les enfants, Big Joe ne va pas vous attendre !

 

Les enfants grimpent dans le bus, sous le regard bienveillant de Big Joe. Les portières se referment, le bus démarre. Bill Milton salue Linda et retourne dans l’immeuble pour retrouver son appartement et son lit. Linda regagne aussi son appartement, pour terminer de se préparer. Elle quitte enfin son immeuble, vêtue coquettement de son ensemble pied poule et coiffée d’un petit bibi, qui ne manque pas de classe. Son patron comptait sur elle aujourd’hui. Elle ne le décevrait pas. Elle travaillait comme secrétaire dans une étude de notaire.

 

C’est ainsi que, chaque jour, le pianiste noir, provenant de Bâton Rouge, le chef indien chauffeur de bus, venu du Missouri, et la jeune et belle immigrante de Tchécoslovaquie, en voisins solidaires, croisaient leur destin quotidien, dans cette grande et triste ville de New York, dans la pâleur du petit jour, en cet an de grâce 1947.

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